Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Un point c'est (pas) tout

Un point c'est (pas) tout

Blog sur tout ce qui rend la vie plus chouette...


Le coin des livres : Miroir de nos Peines

Publié par Christelle Point sur 6 Mai 2020, 08:39am

Troisième et dernier tome de la trilogie de l’entre-deux-guerres commencée avec le brillant « Au revoir Là-haut » (les stigmates de la Première Guerre Mondiale), poursuivie avec l’épatant « Couleurs de l’Incendie » (sur la crise économique de 1929). Voici de temps du « Miroir de nos Peine » dont l’action se situe entre avril et juin 1940, pendant ce que l’on a appelé la Débâcle. C’est une période bien peu glorieuse de l’Histoire de France, traumatisante pour tous ceux qui l’ont vécu et c’est le cadre idéal pour les héros de Pierre Lemaitre. Il y a Louise, la gamine d’« Au revoir Là-haut », qui mène désormais une vie de trentenaire solitaire, et qui découvre un secret de famille déchirant qui va bouleverser sa vie. Il y a Gabriel (le naïf) et Raoul (le roublard), deux soldats de la Ligne Maginot, perdus comme tant d’autres au sein d’une armée en déroute. Il y a Fernand, garde-mobile à Paris qui se retrouve à devoir évacuer une prison  pour emmener ses prisonnier on ne sait où, on ne sait comment, dans la précipitation d’une situation inenvisageable. Et puis il y a Désiré, le personnage le plus fascinant du roman, qui est un escroc génial, usurpateur de génie et insaisissable. Désiré est capable de tout : faire acquitter une accusée sans jamais avoir été avocat, traduire le turc sans en parler un seul mot, soigner sans jamais avoir été médecin, dire la messe sans rien connaitre de la Bible. Dés qu’il sent qu’il va être démasqué, il disparait et change de rôle. Tous ces personnages se croisent, se recroisent, se cherchent pour finir par se retrouver tous ensemble, dans un endroit improbable, dans (et même grâce) à une période qui réveille en chacun à la fois le saint et le démon qui sommeillent. Ce roman est une merveille à lire, c’est d’une fluidité totale, un vrai plaisir de lecteur pur, simple et efficace. Lemaitre évoque une période abominable sans jamais oublier d’y insérer de l’humour, de la tendresse et son cocktail  fonctionne à merveille. Peu importe si certaines coïncidences paraissent un peu grosses, si certains personnages paraissent un peu outranciers (encore que…), tout cela est emporté par le tourbillon d’une plume légère, parfois acide, souvent ironique, et même quelquefois absurde. Le roman est très documenté et Lemaitre glisse au travers du chemin de ses personnages une réalité historique bien réelle, même si parfois elle semble inventée. Trois exemples : la propagande du ministère de l’information entre avril et juin 1940, qui tente de masquer l’avancée implacable des allemands avec des mensonges tellement énormes qu’ils semblent improbables, et portant… Et puis un autre exemple, totalement fou, l’incinération en urgence de la réserve de la Banque de France où, redoutant la prise de Paris par la Wehrmacht, les billets sont mis au four par des employés par sacs entiers. Imaginer des types, sous payés et exploités depuis des décennies,  brûler à la chaine l’équivalent de plusieurs centaines d’années de leur salaire sans broncher, ça parait dingue, et pourtant…  Et puis ces prisons que l’on vide sans savoir quoi faire des prisonniers, que l’on jette sur les routes sans but, sans ravitaillement, mêlés aux parisiens en fuite, et qui errent à pieds sans savoir où aller, ça parait inventé, et pourtant… La Débâcle  est une période courte mais surréaliste que Lemaitre décrit parfaitement : en quelques semaines, la France passe de « Nous vaincrons parce que nous sommes les plus forts » à… plus rien. Plus de gouvernement, plus de capitale, plus d’administration, plus d’existence légale, plus de diplomatie, plus rien, en à peine 6 semaines ! De quoi traumatiser toute une génération, celle de nos grands parents qui en parlaient encore avec le cœur serré 50 ans après ! Cette ambiance était l’écrin parfait pour les héros de Pierre Lemaitre, pour un roman qui clôt une trilogie incontournable de la littérature contemporaine. Les livres peuvent  être lus indépendamment les uns des autres, mais ce serait dommage de se priver d’un seul. «Miroir de nos peines », c’est plus que recommandable, c’est un pur bonheur de littérature.

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article

Archives

Nous sommes sociaux !

Articles récents