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Un point c'est (pas) tout

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Blog sur tout ce qui rend la vie plus chouette...


Le coin des livres : Connemara

Publié par Christelle Point sur 18 Mars 2024, 16:19pm

Adolescents dans les années 90 dans la région d’Epinal, Christophe et Hélène ont grandis côte à côte sans jamais vraiment se côtoyer. A l’époque elle était timide, bonne élève, effacée, lui sportif, était un peu le play-boy du lycée. Elle a fait de belles études, s’est marié et a un boulot bien rémunéré et elle est finalement revenue vivre dans les Vosges dans une belle maison. Lui n’est jamais parti, il a fait une petite carrière de hockeyeur à Epinal, a eu un fils, s’est séparé et est devenu VRP dans la région, et il vit toujours dans la maison familiale. S’ils ont eu beaucoup en commun à l’adolescence, ce n’est plus vraiment le cas aujourd’hui.  Mais ils sont, en 2017, deux adultes en pleine crise de la quarantaine, perclus de doutes et cernés de désillusions. Ils vont se revoir, s’aimer, essayer de conjurer leurs angoisses et peut-être, trouver une raisons d’espérer des lendemains meilleurs.

« Connemara » est l’occasion pour Nicolas Mathieu de dépeindre, au travers du portrait de deux quadragénaires vosgiens, la France que les médias appellent pudiquement « la France périphérique », celles des ronds-points et des zones commerciales, celle qui écoute Sardou, va en boite le samedi soir en voiture et se trémousse encore sur els tubes des années 80, celle qui va au stade encourager l’équipe locale sponsorisée par l’entrepreneur du coin, celle qui, dit-on, vote de plus en plus à droite alors qu’elle ne voit jamais un immigré. Il n’est pas évident de décrire l’intrigue de « Connemara », car le roman est en réalité une double tranche de vie émaillée de retours en arrière, celle d’Hélène et Christophe en 2017, juste avant la première élection d’Emmanuel Macron. Ils ont à ce moment 40 ans et rien ne va dans leur vie. Hélène vit de plus en plus mal une carrière de consultante RH très rémunératrice mais à laquelle elle n’arrive plus à trouver un sens : elle tourne à vide, elle vend du « vide », et elle se fait doubler par des carriéristes qui vendent mieux le vide et avec plus de cynisme qu’elle. Son mariage respire l’ennui et revoir Christophe qui va tout faire basculer, ce Christophe sur lequel toutes fantasmaient au lycée. Lui a eu un fils qu’il ne voit désormais plus qu’une semaine sur deux, vends des aliments pour animaux aux animaleries du coin, retâte du hockey sans conviction (ni réelle hygiène de vie), s’occupe de son père qui décline. Le roman alterne entre 2017 et de nombreux flash back sur leur adolescence, leur vie avant et celle de leurs parents. Ce sont les passages « adolescents » que j’ai préféré, que j’ai trouvé plus intéressants, sûrement parce qu’ils m’ont rappelé ma propre adolescence. Pas de réelle intrigue donc, mais une description à la fois très réaliste et très lucide de cette fameuse, « France périphérique » dans laquelle, je peux le dire en toute connaissance de cause,  on s’ennuie ferme. Le style de Nicolas Mathieu est élégant mais surtout pointu, très incisif et sans concession, j’ai même lu certains paragraphes deux fois pour mieux en profiter. Il décrit ce qu’il connaît, lui le natif des Vosges, et il le fait avec lucidité, sans snobisme, sans acrimonie, sans mépris de classe. La lecture de ce gros roman qu’est « Connemara » laisse sur le lecteur une impression un peu pessimisme, voire même un peu plombante : les difficultés économiques, le poids de la classe sociale, le peu de perspectives, l’éloignement de la vie culturelle, l’éloignement croissante des « élites hors-sol», l’impression terrible que tout ne peux qu’aller plus mal, tout cela sonne juste mais laisse une impression de fatalité assez déprimante. Le roman se déroule juste avant l’élection de 2017, ce que Nicolas Mathieu décrit ici, c’est la future France « des ronds points et des gilets jaunes », cette cocotte-minute qui va imploser. Ils ne sont pas si nombreux, les écrivains qui dépeignent avec justesse cette France-là, d’ailleurs ils ne sont pas si nombreux à réellement s’y intéresser.  Je découvre avec lui un univers sans concession, un style littéraire à la fois percutant et élégant. Je ne dis pas que je lirais du Nicolas Mathieu à longueur de temps, mais c’est auteur qui mérite la reconnaissance qu’il a obtenu, qui regarde vivre la France comme peu d’écrivains d’aujourd’hui la regarde.

 

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