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Un point c'est (pas) tout

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Critique cinéma : Captives

Publié par Christelle Point sur 11 Février 2024, 16:16pm

Paris 1894, en cachette de son mari qui la croit chez une cousine à l’autre bout du pays,  Fanni se fait volontairement  interner à la Pitié Salpêtrière dans l’espoir fou d’y retrouver sa mère. Cela fait 29 ans que cette dernière est internée dans cet endroit abominable où on éloigne les femmes indésirables. Qu’elles soient handicapées mentales ou juste dépressives, qu’elles souffrent d’une réelle psychose ou qu’elles soient juste prostituées, qu’elles soient filles-mères ou simplement encombrantes dans une famille aisée, des milliers de femmes sont maltraitées entre ces murs sordides. S’y faire volontairement interner est pure folie, quand on sait dans quels sévices y sont perpétués sous couverts de traitement de choc, et combien il est difficile d’en sortir un jour.

L’enfer de la Pitié Salpêtrière a déjà fait l’objet de romans et de films édifiant sur ce que fut cet endroit pendant bien trop longtemps (voir le très bon « Bal des Folles »), « Captives » enfonce le clou sur le cercueil de cette abominable institution misogyne et cruelle. Sous couvert de médecine et de traitement de choc, cet endroit était en réalité une sorte de mouroir pour femmes encombrantes. « Captives » le montre bien et d’abord dans sa forme. Filmant les corps et les visages en très gros plans, Arnaud des Pallières montre dans toute sa cruauté le quotidien sordide de toutes ces femmes. Les décors sont sombres, crasseux, les corps sont amaigris, torturés, les yeux sont cernés, les vêtements élimés, mal ajustés. : La reconstitution fait clairement froid dans le dos. Le film débute de façon un peu sèche, de ce que fut la vie de Fanni au dehors  (sur son niveau social notamment, elle se dit domestique mais au détour d’une conversation on comprend que c’est elle en réalité qui a des domestiques) on ne saura rien d’autre que ce qu’elle raconte par bribes à ses compagnes d’infortune. Le film se déroule intégralement entre les murs, les hommes sont quasi absents du film, sauf pendant les scènes du bal, et même là, ils ne font que de la figuration. Cet endroit pour les femmes, dirigé par des femmes, est une sorte de gynécée de l’horreur en plein Paris. Le film dure moins de deux heures, il passe bien même si on peut trouver que les 20 dernières minutes, celles du bal, sont un peu longuettes. La musique est agréable sans être particulièrement notable, bien utilisée, même si là aussi on peut parfois la trouver un peu envahissante. Le film est émaillé de scènes fortes, qui sont souvent des scènes de souffrances, ce qui le rend quand même assez éprouvant pour le spectateur. Mais avec un sujet aussi lourd, difficile de faire autrement. Je ne trouve rien à redire à un casting de premier ordre, Mélanie Thierry en tête parfaitement secondée par Marina Foïs et Josiane Balasko . Mélanie Thiery apporte sa fragilité (elle pleure beaucoup) au rôle de Fanni mais aussi une vraie détermination. Pourtant, elle va assez vite regretter ce geste fou d’amour d’une fille pour sa mère quand elle comprend qu’elle risque de rester internée longtemps. Josiane Balasko (enlaidie) dirige d’une main de fer et sans états d’âme cette institution, secondée par « La Douane », le sobriquet explicite du rôle de Marina Foïs. Cette dernière, qui a un tic de langage étrange (elle ne s’adresse aux femmes qu’à la troisième personne du singulier), bouche pincée, regard de rapace, donne corps à une « Ratchett » en costume d’époque. Et puis il y  a les « malades », campées par Yolande Moreau, Carole Bouquet, Dominique Frot ou Agnès Berthon. Elles sont très justes car ce sont toujours des rôles délicats à incarner. Sur le scénario, on peut  sans doute trouver un peu à redire. Pas sur la véracité de ce que fut la Pitié Salpêtrière, non. Sur ce point là, quelque chose me dit qu’on est même surement en dessous de la vérité : des aliénées enceintes (engrossées par des messieurs en visite et qui sans doute, paient leur obole aux gardiennes) à qui on enlève leur bébé , des femmes de la bonne société qu’on écarte ainsi d’un héritage, des prostituées qu’on ramasse pour faire place nette, des jeunes filles violées et traumatisées dont on en sait que faire, des anorexiques qu’on « soigne » à l’entonnoir, des handicapées qu’on laisse à moitié mourir de faim, même si le film montre tout cela, la vérité fut surement encore plus cruelle. Mais pouvait-on se faire volontairement interner aussi facilement ? Les internées pouvaient elles écrire à l’extérieur ? L’Etat était-il ignorant des sévices comme le scénario le laisse entendre ? Et certaines femmes plus fortunées avaient-elles doit à des appartements privés et un traitement de faveur? Et qui a fait interner la mère de Fanni (qu’elle retrouve quand même assez vite, alors qu’elles sont des milliers dont certaines sous de faux noms) ? Beaucoup de questions restent sans réponses. Si je ne doute pas de la véracité du contexte, je ne sais pas si l’histoire de Fanni est crédible de bout en bout. La fin est un peu évasive, on devine ce qui advient plus qu’on ne le comprend. En revanche, le film évite un happy end improbable qui aurait été de mauvais gout. Le mauvais goût, c’est ce « bal des folles » grotesque et voyeuriste qui, en cette fin de siècle, vit heureusement ces dernières heures. « Captives » vaut surtout pour cela, pour raconter l’histoire oubliée de toutes ces femmes victime d’un XIXème siècle qui aura été d’une misogynie effarante.

La bande annonce de "Captives"

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