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Un point c'est (pas) tout

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Critique cinéma : La Zone d'Intérêt

Publié par Christelle Point sur 31 Janvier 2024, 15:52pm

1943, une famille allemande coule des jours heureux et paisibles à la campagne dans une belle maison qui a tout le confort moderne. Loin du front (pour l’instant) madame soigne son intérieur et surtout son magnifique potager, les enfants vont à l’école. Le soir, le père rentre du travail, caresse le chien, raconte « Hansel et Gretel » à ses filles. Dans cette belle maison, on fête les anniversaires, on se baigne dans la piscine, on passe de beaux week-end en famille. Cette famille, c’est la famille de Rudolf et Hedwig Höss et de l’autre côté du mur de la maison, il y a le travail du père de famille : le camp d’extermination d’Auschwitz-Birkenau.

Le film de Jonathan Glazer ne va laisser personne indifférent. Grand Prix du Jury au dernier Festival de Cannes,  « La Zone d’Intérêt » est un film assez déroutant, non pas sur le fond mais sur la forme. Car autant le dire d’emblée, pour qu’il n’y ait aucun malentendu, il n’y a pas à proprement parler de scénario dans ce film, pas d’intrigue avec un début, un milieu et une conclusion. « La Zone d’Intérêt » ne raconte pas une histoire, elle raconte l’Histoire et d’une façon très particulière. Déjà, le film s’ouvre sur un interminable écran noir, et on est envahi de sons que l’on ne peut identifier. Un long écran rouge apparaitra à mi-film, puis il se terminera à nouveau sur un long écran noir. Parce que l’indicible, le in-filmable, Glazer a choisi de n’en rien montrer mais de tout suggérer. La camera ne fraichira qu’une seule fois le mur d’enceinte, à la toute fin, pour une scène contemporaine qui glace le sang. Mais sinon, pendant tout le film long de presque 2 heures, tout est suggéré. D’abord par le son, cet arrière fond sonore insupportable qui, très atténué dans le film en terme de puissance sonore mais totalement permanent : des coups de feu, des ordres aboyés, des cris, des pleurs, et mêmes des sons que l’on n’ose pas identifier, pétrifié dans notre fauteuil de cinéma. Ce bruit de fond,  les Höss ne semblent ne plus y faire attention. Mais pour nous il prend toute la place et il en devient assourdissant, au point d’occulter les dialogues lénifiant de cette bonne allemande bon teint, qui sait parfaitement bien ce qui se passe de l’autre côté du mur. Et en plus du son, il y a les détails, les arrière-plans : la fumée noire de cheminées, le sang sur une botte, les cendres qui retombent sur les jolies plantations, les panaches des trains qui arrivent et repartent à une cadence infernale. Jonathan Glazer décide de jouer à fond la carte du contraste, entre le charmant au premier plan et l’abominable au second, et là encore, forcément, l’arrière plan, prend toute la place. C’est normal, c’est le but recherché : le malaise chez le spectateur est permanent devant ce contraste ultra-dérangeant poussé à l’extrême. Il y a une poignée de scènes peu évidentes à décrypter, et notamment celles filmées en « négatif » où on voit une enfant déposer des offrandes dans des fosses communes recouvertes de terre. On peut les interpréter comme on veut, puisque rien n’est expliqué. Est-ce le cauchemar récurrent de la petite Höss, somnambule, inconsciemment perturbée par la situation ? Elle semble bien la seule, car pour les autres, enfants en âge de comprendre inclus, ce qui se passe dans le camp est parfaitement accepté. Madame essaie des jolis manteaux de fourrure que lui apporte son mari, les garçons examinent des dents en or, madame menace sa bonne polonaise de la réduire en cendre : de bons nazis bon teint, parfaitement endoctrinés, probablement irrécupérables. Et puis il y a la belle-mère, en séjour dans la belle maison. Surement le personnage le plus intéressant : elle est intriguée par les cheminées qu’elle observe depuis la chambre et qui fonctionnent le jour et la nuit. Elle sait qu’il y a des juifs de l’autre côté du mur (et surement son ancienne patronne, idée qui semble la réjouir) mais elle ne voulait pas savoir ce qui leur arrivait. Quand elle le comprend, elle tombe des nues. Il y a donc  pour Jonathan Glazer, des allemands qui savaient et d’autres qui ne savaient pas, ou qui ne voulaient pas réellement savoir. C’est un sujet sur lequel on n’a pas finit de débattre. Le film est difficile à placer clairement dans la chronologie de la Guerre. La Solution Finale est clairement en œuvre, les soviétiques encore loin, je dirais 1943-1944. Le vent a déjà tourné, mais Höss ne le sait pas encore. A la toute  fin,  il y a cette double scène en miroir fiction/réalité. Höss essaie de se faire vomir sans y parvenir, et Glazer sortant alors du champ de la fiction, filme des femmes de ménages à l’œuvre dans le véritable musée d’Auschwitz. On peut discuter sans fin sur l’interprétation de cette scène comme de toutes les autres scènes du film, Glazer ne donne jamais aucune clef au spectateur. Ce film est le complément parfait du film, sorti l’année dernière, « La Conférence ». Christian Friedel et Sandra Hüller donne à l’horreur le visage de la banalité et de la bonne conscience. Ce contraste est, dans certaines scènes, quasi insoutenable.

La bande annonce de "La Zone d'Intérêt"

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