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Un point c'est (pas) tout

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Critique cinéma : Je Verrai Toujours vos Visages

Publié par Christelle Point sur 2 Avril 2023, 15:34pm

Dans une grande salle d’un Maison d’Arrêt, des chaises en cercle : 3 détenus, 3 victimes et 4 animateurs pour plusieurs séances de 3 heures, s’amorce un dialogue difficile entre auteurs et victimes d’un même type de délit. Une jeune femme victime d’inceste veut revoir son frère, son agresseur, après 7 longues années. Elle veut le faire dans le cadre d’une médiation organisée pour être sure de ne pas le recroiser par hasard. Deux aspects de ce qu’on appelle la justice restaurative, quelque chose qui existe en France depuis 2014, quelque chose qui est, reconnaissons-le, le reflet de tout ce que notre époque déteste.

Jeanne Herry revient sur nos écrans, après nous avoir enchantés avec son dernier long métrage « Pupille », elle propose aujourd’hui un film choral courageux et absolument bouleversant sur la justice restaurative. Son film fonctionne dés la première scène, qui consiste en un jeu de rôle entre formateurs et qui explique d’emblée, avec une clarté totale, ce qu’est la Justice restaurative et combien elle est difficile à appréhender pour le néophyte. C’est en cela que son film est courageux : le ton est donné, ce film sera un sport de combat et on en sortira sonné, chamboulé, bouleversé. Le film juxtapose deux intrigues étanches entre elles et qui illustrent deux aspects de cette notion. Parfaitement dialogué, bénéficiant d’un casting très investit et qui fait passer avec une immense sincérité  toutes les émotions. Peu de musique, peu de scènes hors des murs (à part quelques focus sur la vie personnelle des animateurs, comme de tout petits sas de décompression), le film n’est pas ennuyeux ni plombant une seule seconde. Il se paye même le luxe de deux ou trois petits traits d’humour, aussi inattendus que charmants. Pour peu qu’on ne soit pas totalement obtus sur le sujet (auquel cas pourquoi se donner la peine d’aller voir un film qui en parle), le film arrive sans mal à convaincre que le pouvoir de la communication, le poids de la parole échangé peut dénouer beaucoup de souffrances de part et d’autre : la réciprocité est très importance, la justice restaurative n’est pas là que pour les victimes. Il y a deux intrigues d’égale importance, d’abord celle de Chloé, violée par son grand frère pendant son enfance et qui apprend qu’il revient vivre dans la même ville qu’elle. Cette nouvelle, avec le risque qui va avec de le  recroiser au cinéma, au supermarché, au restaurant, la met dans un état de stress intense que tout le monde peut parfaitement comprendre. Elle demande une entrevue avec lui, pour le voir et se mettre d’accord afin de ne… jamais se revoir. Le film ne montre que les entrevues entre la médiatrice et Cholée, jamais entre la médiatrice et Benjamin, son violeur. Ce qui est dit entre Benjamin et la médiatrice Judith n’est que rapporté par cette dernière. Il y a là un déséquilibre parfaitement assumé et qui ne pose pas réellement problème car contrairement à l’autre intrigue, il ne s’agit pas d’écouter deux facettes d’une même histoire mais de préparer longuement le terrain à une rencontre qui sera fatalement éprouvante pour les deux. Adèle Exarcopoulos est magnifique dans ce rôle si difficile, toujours sur la lisière entre la colère et la peur, elle semble en perpétuel combat contre elle-même, contre la haine qui la ronge et l’empêche d’avancer. Ce rôle de funambule au dessus du vide, elle le tient parfaitement, jusque dans ses nuances difficiles à formuler : l’amour de son frère, la haine de son agresseur, les deux qui s’entremêlent,  tout cela est difficile à faire passer. Et Adèle Exarcopoulos y parvient, et c’était un sacré challenge. L’autre intrigue prend la forme d’une longue et intense thérapie de groupe, où les victimes et les délinquants se parlent.  Les premiers arrivent avec leur colère, et elle est parfaitement compréhensible (quand ils racontent leur agression, impossible de ne pas avoir le cœur serré). Ils arrivent avec leur certitude, leur préjugés aussi, sur la prison, la délinquance, la drogue, des préjugés qui sont aussi les nôtres, souvent. Les seconds viennent parfois pour de mauvaises raisons, parce qu’ils pensent que c’est ce que la société attend d’eux, pour obtenir une remise de peine. Ils écoutent, ils racontent, parfois ils sont maladroits. Les histoires de braquages, de vols à l’arraché, de cambriolages se percutent, elles se ressemblent. Le spectateur est au centre du cercle, il touche du doigt toute la complexité des choses. Ce n’est pas naïf que de mettre l’accent sur la complexité des choses, sur la nuance, d’évacuer le manichéisme, de remettre en cause ce que l’on croyait savoir ou que l’on croyait comprendre. Ce n’est pas si fréquent qu’un film de cinéma prenne le temps de montrer avec intelligence et pudeur une notion aussi complexe et si peu dans l’air du temps. J’ai eu l’impression, pendant 2 heures durant, que ce film s’adressait à mon intelligence et à ma sensibilité au lieu de m’asséner un message avec de gros sabot. J’ai eu l’impression devant « Je verrai toujours vos visages » de prendre une bouffée d’humanité dans une époque qui en manque cruellement : la parole échangée, aussi dure soit-elle, au lieu de l’invective. Bon sang que ça fait du bien ! Miou-Miou, Leïla Bekhti, Gilles Lellouche, Fred Testot, Birane Ba, Dali Benssalah et dans une moindre mesure Jean-Pierre Darroussin ou Suliane Brahim, tous apportent à leur composition un supplément d’âme qui fait mouche en plein cœur. Des films de cette qualité, de cette subtilité, de cette intelligence, je voudrais en voir beaucoup, beaucoup plus souvent.

La bande annonce de "je Verrai Toujours vos Visages"

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D
Bonsoir, de ce film, je retiens surtout la partie avec Adèle Exarcopoulos qui est sensationnelle. On y croit quand elle dit son dialogue. Le reste avec l'assemblée autour d'une table m'a paru plus convenue. C'est gentil mais pas plus. Bonne soirée.
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