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Assis dans le bureau du juge d’instruction, Marital Kermeur raconte son histoire. Comment, lui, un homme ordinaire et honnête, est devenu l’assassin d’Antoine Lazenec, promoteur immobilier. Il y a moins de 48h, il a accompagné Lazenec à la pêche au casier et au moment où ce dernier se penchait par dessus bord, il lui a pris les jambes et l’a fait basculer, puis il est rentré au port et a attendu qu’on vienne l’arrêter. Comment, et surtout pourquoi cet homme sans histoire est devenu un assassin… Et si cela n’arrivait pas qu’aux autres ?
Le roman de Tanguy Viel est court et percutant. Il se compose d’un long et unique monologue, celui d’un homme devant son juge. Dans la forme, on peut trouver que, pour un monologue parlé, le style est quand même très élégant. Figure de style, métaphores, utilisation d’un vocabulaire soigné, il est en effet peu probable qu’un accusé (quelle que soit sa condition sociale) tienne un discours aussi élégant et stylé lors d’une audition judiciaire, surtout après avoir commis un assassinat. Mais si on met de côté cette étrangeté dans la forme, il faut bien avouer que l’histoire que raconte ce pauvre homme est à la fois très crédible et fort douloureuse. Divorcé avec un fils à charge, licencié de l’arsenal, cet ancien élu municipal de gauche va se retrouver la proie d’un promoteur immobilier véreux qui va engloutir toutes ses économies dans un projet d’immeuble fantôme. Et Martial Kermeur d’expliquer avec une clarté aveuglante comme Antoine Lazenec a mystifié tout le monde. Car Martial n’est pas le seul lésé, l’escroquerie a ruiné bon nombre des habitants de la petite ville (le maire en tête de liste) mais c’est lui qui a tué. Pour des raisons liées à son passé de militant, pour des raisons liées à son fils unique (dont on comprend d’emblée qu’il a mal tourné), à cause aussi d’un billet de loto jamais validé, à cause d’un coup de feu entendu dans la nuit, c’est lui, Martial, qui a commis l’irréparable. Parce que le récit est à la première personne, on se sent immédiatement en empathie avec cet homme qui va tout perdre, sauf qu’il avait déjà tout perdu avant même de tuer. L’engrenage fatal qui va amener Kermeur à confier plus de 500 000,00 F (sa prime de licenciement de l’arsenal) à Lazenec, l’attitude de ce dernier, faite d’assurance, de fausse sympathie et de morgue, la descente aux enfers dans une solitude et une culpabilité écrasantes, tout est tellement compréhensible, tout est tellement crédible. Même si le mot n’est prononcé qu’une seule fois, à la fin, c’est bien de la lutte des classes qu’il est au fond question ici. La fin est surprenante, le roman se termine abruptement mais sur une note qu’on n’avait pas vu venir. C’est un bon roman, court et qui peut parler à tout le monde : et si au final, devenir un assassin n’arrivaient pas qu’aux autres ?