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Deux cousins aux caractères (très) différents, David et Benjamin, entreprennent un voyage mémoriel en Pologne. Leur grand-mère paternelle, rescapée de l’Holocauste, vient de mourir et elle leur a laissé un petit peu d’argent pour qu’ils aillent sur la terre où elle est née et où elle n’ jamais pu retourner. Benji et David, autrefois très proches, partent donc ensemble sur les trace de leur passé familial pour, peut-être, retrouver leur proximité perdue.
Il n’est pas besoin d’être grand psychologue pour deviner d’emblée que Jesse Eisenberg, derrière la caméra, à mis beaucoup de lui et de son histoire dans « A Real Pain ». Avec ce road trip mémoriel et familial, il nous propose un film court (1h30) qui commence sur un plan et se terminera exactement sur le même plan, dans la salle d’attente d’un aéroport de New York. C’est à peu près tout ce qu’on verra des Etats-Unis car tout le film se déroule en Pologne, à Varsovie, à Lublin avec un court passage éprouvant par les vestiges conservés du camp de concentration de Majdanek. La Pologne y est filmée sous un soleil permanent, et elle est montrée dans toute sa diversité, des grands ensembles de l’ère soviétique aux buildings plus modernes, des quartiers historiques aux vieux quartiers populaires. Mais étrangement, on y croise fort peu de polonais, c’est d’ailleurs un reproche que fait Benji à son guide, un reproche assez pertinent je trouve. Le film est en permanence accompagné de piano, ça aurait pu être envahissant car souvent le piano est assez fort. Mais en réalité ça passe très bien car cela apporte une certaine douceur à ce « road/buddie movie ». Très dialogué, les deux cousins étant deux moulins à parole dans des genres différents, le film se tait pourtant pendant la visite du camp, peu de mot, aucune musique, juste le silence comme il sied au lieu. La première image (et donc aussi la dernière) pose des questions sur Benji auxquelles le film ne répondra pas réellement : ce jeune homme si triste a-t-il réellement un domicile ou traine-t-il en permanence dans le terminal, en errance perpétuelle ? Car franchement le personnage de Benjamin, incarné de façon merveilleuse par Kieran Culkin, est une boule de douleur. On n’arrive pas à le sonder, est-il en plein deuil de sa grand-mère, est-il un bipolaire en souffrance, est-il juste un hypersensible qui essaie de donner le change ? J’ai bien peur que la réponse soit tout cela à la fois. Culkin compose un personnage volubile, spontané, inconséquent, ingérable et souvent exaspérant, un peu comme le personnage qu’il incarnait dans la série « Succession ». Sauf que dans « Succession » son personnage était méprisable, alors qu’ici il est juste bouleversant. A ses côtés, Jesse Eisenberg a écrit le rôle de David comme une sorte de Woody Allen post-moderne, angoissé, il a l’air en permanence effrayé par les autres, pétrifié de ne pas faire ce qu’il faut, de ne pas dire ce qu’il faut, de ne pas avoir le comportement qu’il faut. David et Benjamin incarne ensemble toutes les facettes de la judéité : la douleur et l’errance perpétuelle, l’angoisse et la résilience chevillée au corps. Les rôles secondaires, notamment ceux qui composent le petit groupe de voyageurs sont plus effacés mais pas dénués d’intérêt : Will Sharpe, Jennifer Grey ou encore Kurt Egyiawan composent un groupe hétéroclite (et fort patient car impossible pour les deux cousins d’arriver à l’heure quelque part !) mais cohérent, ils sont très différent mais viennent cherche la même chose en Pologne. Cette chose, cette conscience juive de l’Holocauste est au centre du film. David et Benji la ressente, tente de gérer cette souffrance qui est indirectement la leur. Comment se l’approprier sans la dénaturer ? Quelle distance mettre entre elle et le quotidien de leur vie ? Comment la faire vivre en eux sans céder au désespoir ou à la colère ? C’est toutes ces questions qui imprègne le très justement nommé « The Real Pain ». Benjamin et David sont très différent, leur caractère, leur vie, leur passé sont très différents mais cette douleur est la même, ils la gèrent chacun à leur façon. Clairement David s’en sort mieux que Benji. Ce dernier, sous ses airs dilettantes, a pourtant une perception plus aigue des choses, c’est lui qui a les dialogues les plus percutants (et un peu perturbants) sur la mort, sur la mémoire, sur le sens de tout ce qu’il voit. C’est un clown triste et malheureusement, il est assez clair que ce voyage en Pologne ne va pas changer sa vie, ne pas lui permettre réellement d’aller mieux. « A Real Pain » n’est pas un film très grand public ni forcément facile d’accès, les questions au cœur du long-métrage ne sont pas toujours faciles à appréhender. Mais pour peu qu’on s’y attarde, on peu y déceler plein de choses sur plein de sujets y compris sur le sens de la famille ou la difficulté à être soi. C’est un film ultra sensible dans lequel la performance de Kieran Culkin impressionne et chamboule.