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Un point c'est (pas) tout

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Le coin des livres : Les Effacées

Publié par Christelle Point sur 8 Janvier 2025, 15:57pm

L’enquêtrice Lucia Guerrero est sur les dents : en Galice elle enquête sur un tueur en série qui kidnappe, séquestre puis assassine des ouvrières modestes, il les enlève au petit matin alors qu’elles vont travailler. Alors même qu’elle vient d’enfin trouver une piste prometteuse, elle est subitement rappelée à Madrid par sa hiérarchie. Dans la capitale, une riche héritière vient d’être retrouvée morte en dessous d’une inscription « Tuons les Riches ! ». Ce crime spectaculaire promettant de faire la une, le Ministère de l’Intérieur insiste pour que Lucia abandonne la Galice pour revenir à Madrid, ce qui ne lui plaît guère. En Galice, l’enquête continue donc sans elle.

Je n’ai pas toujours été indulgente avec Bernard Minier et avec son héros récurrent Martin Servaz. Mais en revanche, je retrouve avec plaisir Lucia, cette enquêtrice de la Guardia Civile déjà à l’œuvre dans le roman éponyme « Lucia ». C’est une femme divorcée, aussi résolue dans son travail que fragile dans sa vie privée. Dans « Les Effacées », elle doit abandonner une enquête qui lui tient très à cœur en Galice pour aller enquêter sur des meurtres de personnalités riches et très en vue dans la Capitale. Le roman est donc bicéphale, 2/3 des chapitres à Madrid avec Lucia, 1/3 en Galice avec son collègue resté sur place. Les enquêtes n’ont rien en commun et ne se rejoindront pas dans un final improbable, nous sommes presque en présence de deux romans, deux intrigues parallèles. L’enquête en Galice met en scène des gens modestes (du côté du coupable comme du côté des victimes), des gens de province très éloignés des préoccupations madrilènes. Pour ceux qui ont vu le film, on est presque dans une ambiance comme celle d’« As Bestas », dans une région sinistrée, très périphérique. Le contraste est donc immense avec l’enquête de Madrid qui met en scène des chirurgiens, des marchants d’art, des ministres, des chefs d’entreprise et autres influenceurs. Dans les deux cas, l’intrigue est claire, bien amenée, avec ce qu’il faut de suspens (Galice) et coups de théâtre et fausses pistes (Madrid). Ce qui est intéressant, c’est ce que l’enquête de Madrid va déclencher dans l’opinion publique. La phrase « Tuons les Riches !» retrouvées sur tous les lieux des crimes devient virale, devient un cri de ralliement qui cristallise la scission de la société espagnole entre les riches et les pauvres, entre les élites et le peuple, entre la police et la population. Enquêtrice en chef, Guerrero se retrouve la cible des rancœurs et certaines scènes sont aussi angoissantes que crédibles sur ce point (suivie dans un supermarché, violentée aux abords d’une manif…). Même si ce n’est jamais dit (et je le regrette un peu), l’héritage historique franquiste de la police espagnole est largement à l’œuvre. En Espagne encore plus qu’en France, la Police est le symbole du pouvoir politique, justement à cause de l’amnistie générale des années 80 qui a absous plus qu’elle n’a épuré. Tous les passages « sociologiques » du roman font mouche. Et puis « Les Effacées » traite aussi des violences faites aux femmes, que ce soit en Galice avec les enlèvements ou que ce soit avec Lucia, aux prises avec un harceleur en ligne, un « incel » dont l’identité est révélé dans les derrières pages, et je n’ai pas été surprise de découvrir de qui il s’agissait. Voilà donc un roman bien ancré dans son époque, qui décrit les maux actuels avec acuité et pertinence, en prenant deux intrigues bien troussées pour contexte. Cela donne au final un très bon thriller, et sa fin ouverte (du côté du harcèlement en ligne) promet à Lucia Guerrero encore bien des sources d’angoisse pour un futur roman.

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