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Un point c'est (pas) tout

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Blog sur tout ce qui rend la vie plus chouette...


Critique cinéma : Je suis toujours là

Publié par Christelle Point sur 19 Janvier 2025, 16:42pm

Rio de Janeiro, décembre 1970, l’ancien député travailliste Ruben Paiva a repris son métier d’architecte et vit heureux avec sa femme Eunice et ses 5 enfants dans une belle maison qui donne sur la plage, face à l’océan. Ce bonheur tout simple vole en éclat lorsque des hommes en armes viennent chercher Ruben pour un interrogatoire. Personne ne le reverra jamais. Pour Eunice, arrêtée à son tour, le combat de 25 longues années commence.

Le très rare réalisateur brésilien Walter Salles revient en salle, et il revient avec une histoire vraie qui est une tranche de l’histoire de son pays, une tranche d’histoire tragique que certains, au Brésil, voudrait sans doute oublier ou faire oublier. Il met en scène, apparemment très fidèlement, l’histoire de la famille Paiva dont le père Ruben fut un « disparu » de la dictature militaire, en 1971. Sa veuve Eunice Paiva a combattu sans relâche pour la Vérité et la mémoire de son mari et c’est son histoire à elle, encore plus que son histoire à lui, que Salles met en image. Le sujet est sérieux, le propos est grave et le film, qui dure 2h15, ne fait pas dans l’esbroufe. Il est découpé en 3 parties d’inégales durées, le première en 1970-71 est forcément la plus longue, ensuite une ellipse nous emmène en 1996 puis une dernière plus tard, au seuil des années 2010. Pendant les 20 premières minutes du film, on est dans la chronique de la famille heureuse : l’image est solaire, on rit beaucoup, on se chamaille, il y a de la musique, on joue au foot et on va à la plage avec la famille Paiva. La dictature et la noirceur sont là par petites touches : un barrage de police, un hélicoptère qui survole la plage, des militaires qui patrouille dans les rues. Mais ce sont des petites touches et le bonheur illusoire de la famille reprend le dessus jusqu’à cette fameuse matinée où Ruben puis Eunice sont emmenés. Les séquences qui suivent sont d’une telle noirceur, d’une telle violence que le contraste nous cloue sur notre fauteuil. Walter Salles utilise le son (dans la prison), le hors champs, et les petits détails (les taches sur le sol de la salle d’interrogatoire) pour distiller l’horreur sans jamais céder à la complaisance. Il ne filmera pas une séance de torture, il ne filmera pas une exécution sommaire, mais tout est suggéré par les détails, par les bruits et il laisse l’imagination du spectateur faire le reste du chemin. Il n’hésite pas devant l’écran noir (la cagoule, effet déjà utilisé et très efficace), il met la musique sur « off ». Après ce passage, la vie reprends, moins solaire, mois heureuse. J’aime bien les passages en « super 8 » vus par la caméra de la fille ainée, j’aime beaucoup la pudeur de la réalisation qui ne montre jamais Eunice en train de pleurer, qui ne fait aucune place au pathos. Je pourrais parler du casing des enfants qui sont tous très bien mais c’est Fernanda Torres qui porte le film sur ses épaules. Avec une vraie conviction, elle donne corps à cette femme (très) courageuse, qui continue de faire vivre une vie normale à ses 5 enfants tout en sa battant pour retrouver son mari. Dans « Je suis toujours là », l’actrice brésilienne est formidable. Le scénario, comme je l’ai dit, raconte assez fidèlement l’histoire d’un disparu de la dictature comme il y en au des centaines, au Brésil, puis au Chili, puis en Argentine. Walter Salles, né en 1956, avait 15 ans en 1970. A 15 ans on comprend des choses comme comprennent les filles Paiva, même les plus jeunes. Toute la première partie est passionnante et elle passe très vite. On peut trouver le début un peu long mais on est indulgent : on sait bien que tout ce bonheur va s’arrêter brutalement alors on laisse les personnages sen profiter un peu. Après la prison, alors que nous avons déjà compris que Ruben a été exécuté, on regarde cette femme continuer de croire à son retour, comme si elle n’avait pas pris la mesure de ce qu’est la dictature. Elle parle de son pays, elle parle d’état de droit et d’habeas corpus comme si elle vivait dans un Brésil normal. On est un peu confondu par cette attitude mais après tout, il est peut-être difficile de s’avouer que le pays dans lequel on est né et dans lequel on a grandit est devenu un cauchemar. Les scènes de 1996 sont importantes, parce qu’elles marquent la fin du combat d’Eunice. En revanche, l’ellipse suivante et finale n’était sans doute pas utile, elle donne l’impression de tirer un peu en longueur en montrant une femme diminuée et devenue sénile. Cette femme si forte devenue si faible, c’est une conclusion difficile pour ce film qui est pourtant  un vrai beau et grand film. C’est un film à recommander à tous ici et ailleurs, et surtout à ceux qui vivent dans un pays qui a un pied dans le fascisme et l’autre qui glisse. Au-delà des discours et des éléments de langage, voilà à quoi ressemble la vie dans un état policier. A bon entendeur…

La bande annonce de "Je suis toujours là"

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