Le coin des livres : les Enfants sont Rois

Kimmy Diore, 6 ans, a disparue lors d’une partie de cache-cache avec son grand frère et ses petits voisins, dans le parking de son immeuble. Les parents de Kimmy sont fous d’inquiétude et la Brigade Criminelle est mise sur l’affaire. Clara Roussel, la procédurière du groupe de la crim commence ses constatations avec minutie, tout en sachant que lorsque la machine médiatique se mettra en branle, cette enquête virera au cauchemar. Car Kimmy n’est pas une enfant comme les autres, elle est, avec son frère, la star de « Happy Récré », la chaîne YouTube de sa mère Mélanie, qui compte des milliers de followers.

Le roman s’ouvre par une citation de Stephen King : « On voulait changer le monde, finalement on l’a téléchargé », le ton est donné. Purement fictionnelle, mais carrément crédible, l’intrigue de « Les Enfants sont Rois » nous emmène dans le monde étrange des enfants influenceurs. Kimmy et Sami sont des stars du net, ils ont des fans, et sont filmés plusieurs fois par semaine par leur mère pour déballer des jouets, goûter de la malbouffe, enchaîner les défis débiles et évidemment, promouvoir tout un tas de marques qui rémunèrent grassement la petite entreprise familiale. Un court flash back dans le passé de Mélanie nous permet de cerner cette femme : fan TV réalité, candidate éphémère de l’une d’elle, fascinée par la célébrité, elle réalise au travers de ses deux enfants le destin contrarié auquel elle a toujours aspiré. On est, tout au long du roman, assez incrédule devant cette femme fascinée par le vide, le superficiel, le vernis des choses. Comment peut-on être à la fois redoutable en affaire et si inconsciente de la valeur des choses ? Si elle ne mettait pas en danger la santé mais surtout le psychisme de ses deux enfants, on pourrait la trouver presque drôle. Mais le truc, c’est que tant d’immaturité fait peur tout autant qu’il déconcerte. Le roman a deux personnages féminins que tout oppose : Mélanie et Clara, dans leur éducation, dans leur métier, dans leur façon de voir le monde, elles n’ont rien en commun. La première fait des vidéos lénifiantes, la seconde est procédurière dans un groupe de la Crim, elles ne peuvent pas se comprendre, elles ne vivent tout simplement pas dans le même monde. Le roman se découpe en deux parties quasi égales. La première (si l’on excepte quelques chapitres sur le passé des deux femmes) se déroule en 2019, pendant l’enlèvement de Kimmy. La seconde nous fait faire un bond de géant jusqu’en 2031 et on explore alors les conséquences et l’évolution des personnages : Mélanie, Clara, Kimmy et Sami. On aimerait se dire, à la lecture de ce roman édifiant, que Delphine de Vigan force le trait, pousse le curseur mais franchement, je n’en suis pas certaine. Comme beaucoup je connais mal ce phénomène des enfants influenceurs et je ne jurerais pas que les dérives décrites ici soient caricaturales. « Les Enfants sont Rois » est un excellent roman, bien écrit et qui soulève un tas de questions vertigineuses sur le pouvoir des réseaux sociaux et de la TV Réalité. Il n’y a pas dans l’écriture de l’auteure un jugement ou un quelconque cynisme sur le sujet. Au contraire, Mélanie, cette femme si fragile et décalée est plutôt dépeinte comme une victime d’elle-même, d’une société trop violente pour la jeune femme candide et naïve qu’elle est. J’aurais eu pitié d’elle si les conséquences de ses actes ne s’avéraient pas au final si funestes, et pourtant je n’arrive pas à la détester, seulement à la plaindre. « Le Enfants sont Rois » est un roman à mettre entre toutes les mains, je le recommande chaudement et prend le pari qu’il laissera une trace durable dans l’esprit du lecteur.