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D’un père français expatrié et d’une mère rwandaise réfugiée au Burundi, le tout jeune Gabriel coule une enfance heureuse à Bujumbura. Il va à l’école, fait des bêtises avec ses copains et n’écoute les conversations des grands que d’une oreille distraite. Sa vie insouciante va basculer en 1994 lorsque la guerre civile embrase la Rwanda voisin où vit une partie de la famille de sa mère. Cette guerre effroyable va infuser jusque dans le petit pays qui est le sien.
Gabriel Faye, pour son premier roman, s’inspire en partie de sa propre enfance pour écrire « Petit Pays ». Ce roman, assez court, connait immédiatement un immense succès totalement mérité. Il raconte à la première personne l’histoire du jeune Gabriel et pendant toute la première partie, on est dans un récit d’enfance comme il en existe beaucoup (on pense parfois à « Stand by Me » par exemple). Le jeune garçon va à l’école, fait les 400 coups avec ses copains et la seule chose qui l’inquiète réellement, sa seule vraie source d’angoisse, c’est la brouille entre son père et sa mère, qui va se traduire par une séparation. Toute cette première partie est assez légère, souvent drôle même si, en lecteur avisé, on comprend au détour d’une phrase les prémisses de quelque chose que Gabriel, lui, ne voit pas du haut de son jeune âge : des inimitiés entre deux adultes, des petites phrases lancée par sa mère sur la situation des Tutsi (son ethnie) au Rwanda. On sait ce qui va arriver, au contraire du jeune garçon. Au milieu du livre, le roman bascule très brutalement. Comme tout est écrit à hauteur d’enfant, qui n’a rien vu venir, la bascule dans l’horreur est forcément terrible. La tension monte d’abord par un voyage rapide au Rwanda à l’occasion d’un mariage où le jeune Gabriel sent la peur physiquement, à un barrage de police, juste après qu’un animateur de radio ait lancé un appel au meurtre au milieu d’une chanson. C’est du Burundi qu’il assistera d’abord en témoin au génocide. Le génocide de 1994 en tant que tel est raconté vite fait, sur un chapitre, comme un cauchemar terrifiant qui laisse des traces au réveil. Mais après, le Burundi est atteint à son tour par les répliques du séisme et on bascule dans l’horreur indicible. Témoins à présent lucide de la folie des hommes (et des enfants), il assiste pétrifié à la descente aux enfers de sa mère, que la chagrin à rendu folle et alcoolique. Il commettra même l’irréparable, entrainé dans un effet de groupe. Le fait que tout soit raconté à l’échelle de l’enfance permet de faire prendre conscience de choses qui nous semblent inconcevables de prime abord, comme le phénomène des enfants soldats. Personne ne sortira indemne de cet enfer, ni lui, si sa petite sœur, ni ses parents. Anesthésié par le désarroi et l’angoisse, quelque mois avant la fuite, il découvre l’amour des livres et de la fiction comme échappatoire au réel. Léger dans sa première partie, percutant et bouleversant dans sa seconde et jusqu’à la dernière page, « Petit Pays » nous immerge dans une réalité que l’on ne connait que par les actualités télévisée et les livres d’histoire. Forcément, comme tout est raconté à hauteur d’enfant, les causes profondes et historiques du drame nous échappent comme elles échappent à Gabriel, mais on peut se servir du roman pour aller plus loin et soupeser le rôle historique de la colonisation belge dans la responsabilité du génocide, par exemple. « Petit Pays », premier roman, petit livre mais immense succès, a fait de Gaël Faye un écrivain immédiatement reconnu. C’est 100 fois mérité.