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Le film de Jonathan Glazer ayant eté, pour moi comme pour beaucoup d’autres, une expérience étrange, je me suis dit que je pourrais lire le roman de Martin Amis pour essayer d’appréhender ce que je n’avais peut-être pas compris devant l’écran. Peine perdue car le film et le livre sont (très) différents. Au travers de 3 personnages, sur une période de 1941 à 1950 environ, Martin Amis dresse trois portraits de personnes prises dans le tourment de la seconde Guerre Mondiale, tous coupables à des degrés divers, de prendre part à la « Solution Finale ». Le roman est divisé en grosses parties et à chaque fois, les trois protagonistes interviennent, toujours dans le même ordre. D’abord il y a Angélus Thomsen, un bellâtre très soucieux de lui-même, de sa propre réussite et de son succès auprès de la gente féminine. Boursouflé d’orgueil, prêt à trahir ou à contourner toutes les règles pour peu que cela serve ses intérêts, ce neveu du funeste Martin Bormann tombe amoureux d’Hannah Doll, la plantureuse épouse du chef du camp de concentration. Les deux entament une sorte de marivaudage surréaliste, à deux pas des murs d’un camp d’extermination. Le deuxième personnage est Paul Doll, le directeur du camp. Alcoolique, cruel et versatile, nazi zélé et convaincu, Paul Doll est soucieux de bien faire son travail et semble obnubilé par les détails techniques de son œuvre : les commandes, le fonctionnement technique des fours et des chambres à gaz, la taille des convois, le traitement des objets (ou des dents en or, ou des prothèses…) récupérées sur les malheureux qu’il envoie à la mort sans sourcilier, il a totalement déhumanisé son travail. Le dernier protagoniste est un Sonderkommando, le triste Szmul, qui amène à la mort ses coreligionnaires, ses compatriotes, ses amis et même sa famille tout en sachant que son sort est de toute façon scellé. Le seul à avoir conscience de ce qu’il fait, le seul à être tourmenté par sa propre culpabilité. A part lui, tous les protagonistes de ce roman sont veules, pathétiques, cruels ou minables. Martin Amis montre, grâce à eux, que le nazisme est d’abord le triomphe de la médiocrité. Le style de l’auteur est particulier avec des partis pris déroutants : les pontes nazis ne sont quasiment jamais cités autrement que par des sobriquets infamants, certains mots sont en allemands sans traduction (les morts du corps, les mots du sexe), Doll ponctue ses phrases de « Ne » ou de « Nich » à tout bout de champ, comme un tic de langage. C’est peu dire que dans sa forme, le livre est déroutant, parfois un peu difficile à lire. Sur le fond, on est perpétuellement sur le fil entre le malaise et la fascination pour la bêtise abyssale portée au pouvoir. Je ne sais pas si cette lecture est pour tout le monde, Martin Amis prend un risque inouï en traitant la Shoah de cette façon, en jetant la lumière sur la médiocrité banale des bourreaux et sans jamais (ou presque) évoquer les victimes. C’est un roman étrange, forcément dérangeant, à réserver à un public averti.