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1919, la Grande Guerre n’est terminée que depuis quelques mois, les combats ont cessés, et maintenant il faut s’occuper des morts. Loin d’être démobilisés, des soldats britanniques exhument les cadavres enterrés à la va-vite, déterrent les corps ensevelis dans les tranchées, cherchent à identifier les soldats pour les inhumer dans des cimetières dédiés : une sale boulot qui doit bien être fait. Amy, une jeune britannique, a fait le voyage pour retrouver son fiancé porté disparu, elle arpente la Somme, questionne sans cesse pour retrouver la trace d’Edward Haslam. Un massacre est découvert dans un souterrain, des soldats chinois se battant pour le compte de la Couronne y ont été suppliciés. Mais comme le souterrain était britannique au moment du massacre, impossible d’imputer cette exaction aux soldats allemands. Ce qui s’est déroulé là n’a rien à voir avec la Guerre, et quel rôle à bien pu tenir Edward dans cette horreur ?
Le romancier britannique Philip Gray nous propose une gros roman, à mi-chemin entre le roman historique et le roman noir. Après un prologue un peu mystérieux (qui ne trouvera son explication qu’à 20 pages de la fin), il campe son intrigue dans les mois qui suivent immédiatement l’armistice. Il y a deux personnages principaux, Amy et Mackenzie. La première cherche son fiancée, elle s’accroche à l’espoir fou qu’il puisse être encore vivant et caché quelque part, ce qui s’annonce de plus en plus improbable au fil des chapitres. On découvre, au travers de flash back, qu’elle était amoureuse d’un gentil garçon, musicien, doux et pacifiste. Quant à elle, elle découvre au fil, de ses investigations ce que la Guerre (et l’Opium) ont produit sur la psyché de son fiancé, mais elle s’accroche néanmoins à l’espoir tenu, et pour cela elle fait preuve de courage et de persévérance qui forcent l’admiration. Mackenzie, celui qui a découvert le massacre, cherche à comprendre ce qui s’est déroulé. Le roman m’a appris des choses que j’ignorais sur la Grande Guerre, comme quoi on en apprend décidément toujours en lisant de la fiction. J’ignorais que pendant la Guerre, et aussi après, des supplétifs chinois étaient venu apporter main forte aux britanniques, des supplétifs souvent peu recommandables. L’intrigue est assez complexe, il faut quand même un peu s’accrocher car le roman est long, il est parsemé de flash back mais aussi de quelques digressions et on finit par comprendre que le nœud du roman s’articule autour d’un gradé britannique à la personnalité aussi charismatique que complexe. Il y a, je l’ai dis, à 20 pages de la fin un rebondissement (que l’on devine quand même un petit peu au fil des chapitres) qui met le lecteur sur la piste du dénouement. Et puis, a deux lignes de la fin, alors qu’il ne reste presque rien à lire, le rebondissement final qui remet en perspective tout le roman, quel sens du récit de la part de Philip Gray ! Le roman, dont le ton humaniste est indéniable, traite de questions très modernes et jette un voile sombre sur les vainqueurs de la Grande Guerre. Le livre de Philip Gray est évidemment sans angélisme vis-à-vis de la guerre, de l’âpreté des combats, de la cruauté qui sommeille en chacun et qui ne demande qu’à se réveiller à la faveur d’un ennemi déclaré (le doux et délicat Edward en est la preuve douloureuse), mais son propos central n’est pas là, car dans le massacre du souterrain nommé Two Storm Wood, la Guerre n’est qu’une toile de fond. La description de la France ravagée de 1919 est assez saisissante et mérite elle aussi qu’on s’y attarde car le roman se situe sur la ligne de front et chaque centimètre carré, chaque mur porte les stigmates des combats, tout cela est décrit avec beaucoup de détails et le tableau d’ensemble du Nord de la France est édifiant. Le roman de Philip Gray, documenté, instructif et profondément moderne et humaniste mérite amplement le détour.