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Du siège de Toulon à l’exil à Sainte-Hélène, en passant par l’Egypte, le coup d’Etat du 18 Brumaire, le sacre, Austerlitz, la retraite de Russie, l’Ile d’Elbe, les 100 jours et Waterloo, « Napoléon » est une grande fresque qui suit le parcours d’un petit Général corse, enfant rebelle de la Révolution Française, qui mit l’Europe à genoux (quand on est français) et/ou à feu et à sang (quand on russe/autrichien/espagnol/anglais…)
Le voilà donc, ce grand film sur Napoléon financé par Apple et mis en scène par Ridley Scott. Comme le film de Scorsese avant lui, il a beau être destiné à une plate-forme, il a le grand mérite d’être visible en salle avant, ce qui lui rend la grandeur visuelle qu’il mérite. Car si le film de Ridley Scott souffre de défauts, ce n’est pas du côté de la réalisation qu’il faut les chercher. Le film dure plus de 2h30 et pourtant je dois l’avouer, il passe bien, même s’il alterne scènes impressionnantes et moments intimistes (une peu trop) nombreux et parfois un tout petit peu bavards, sa construction purement chronologique permet d’enchainer les chapitres sans temps morts. La reconstitution est soignée, dans les décors, les accessoires et surtout les costumes, on reconnaît là le professionnalisme américain. Honnêtement, les scènes de bataille sont impressionnantes : le siège de Toulon, la bataille d’Austerlitz et celle de Waterloo, l’incendie de Moscou sont visuellement taillées pour le grand écran et elles font leur effet. On peut néanmoins apporter un petit bémol dans la réalisation car, et c’est particulièrement visible à Austerlitz avec la glace : la mise en scène de la mort (au sens général du terme) peut paraitre parfois un peu complaisante. Faire durer une scène un peu trop longtemps, montrer plus de sang et de morts que nécessaire, répéter 10 fois 20 fois une mort violente, une noyade dans l’eau glacé, cela peut finir par faire un peu trop démonstratif, surtout si on y ajoute le ralentis, la musique et tout le tralala habituel. Ceci dit, il faut le reconnaitre, dans la forme le film fait son petit effet. Il a aussi l’avantage, en étant purement chronologique, d’être assez clair dans l’enchainement des évènements. Même sans être trop connaisseur de cette époque (ou d’être anglo-saxon !), on arrive à comprendre ce que se joue pendant cette période troublée de la fin de la Révolution. Evidemment, tout cela est résumé à grand traits (cette période est abominablement complexe) mais je souligne l’effort de cohérence historique qui a été fait, destiné à un public néophyte. Le casting est dominé par le couple Joaquin Phoenix et Vanessa Kirby. Si Kirby est très bien (en dépit du fait qu’elle est beaucoup trop jeune pour le rôle de Joséphine de Beauharnais), j’avoue que j’ai été assez convaincue par l’interprétation de Joaquin Phoenix. Il donne corps un Napoléon assez ombrageux, aussi fort sur un champ de bataille que faible et même fragile en amour. J’ai lu avant la séance des choses très dures sur son jeu d’acteur qui, de mon point de vue, ne sont pas méritées. Très peu souriant, beaucoup moins arrogant que certains autres Napoléon avant lui, je trouve qu’il nous offre une composition plutôt intéressante. J’ai choisi de voir le film en VOST, et même si je dois avouer que ça fait quand même très bizarre de voir Napoléon s’adresser à Barras, Talleyrand ou Fouché en anglais et l’entendre parler de « French Revolution », on finit par s’y faire. Napoléon est le personnage historique français le plus clivant de l’Histoire Contemporaine, en France, on l’adore ou on le honnit, nous avons chacun « notre » Napoléon, sur lequel nous projetons nos idées politiques. C’est aussi pour cela que personne ne semble trouver le film de Ridley Scott à son goût ici, on projette dans ce personnage bien trop de nos propres idéaux de droite ou de gauche. Le scenario est basé sur deux axes et il balance en permanence entre les deux. Il aurait pu appeler son film « Napoléon et Joséphine » tant l’axe conjugal prends de la place. La place réservée par le scénario au couple est (beaucoup) trop grande à mes yeux, le film perds pas mal de temps à décortiquer la relation complexe entre les deux, faite d’amour et de jalousie, de mépris et de déceptions. Ca finit par ressembler à un mélo, et ce n’est vraiment pas l’axe le plus intéressant. De l’autre côté, le film enchaine les évènements historiques (en en oubliant quelques un au passage mais sur 2h30 c’était inévitable, et puis il ne fallait pas faire trop « catalogue ») et insiste sur le Napoléon militaire, donc le Napoléon conquérant, donc le Napoléon « qui a du sang sur les mains ». C’est en cela j’imagine que film est qualifié « d’anglo-saxon » ! Même si le scénario prend certainement des libertés sur la réalité historique, même si certains détails sont probablement sujets à caution, je ne remets pas en cause cet aspect militaire du personnage, difficilement contestable. Je regrette quand même que le Napoléon « chef d’Etat » soit totalement absent du propos. L’enfant de la Révolution, l’inventeur (quoi qu’on en dise) d’une certaine idée de la méritocratie à la Française, tout ce que ce personnage historique à mis en place et qui perdure aujourd’hui, plus de 200 ans près sa mort, dans nos institutions, notre vie quotidienne, tout cela est totalement absent du film de Ridley Scott. C’est donc une certaine idée de Napoléon qui est présentée, un conquérant aussi puissant avec les armes que faible avec sa femme. Du coup, il n’est pas étonnant que personne, en France, n’y trouve réellement son compte, et moi non plus. Il faut prendre le film de Ridley Scott avec toutes les pincettes historiques possibles, le film de Ridley Scott raconte « son » Napoléon, qui ne peut pas être totalement le nôtre. Inabouti, forcément subjectif, le film est malheureusement plombé par son côté mélo sentimental.