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La Cité des Ecrivains à Strasbourg est en ébullition depuis la mort de Karim, mort lors d’une interpellation, soi-disant d’une crise d’épilepsie. Assommée par le deuil, la famille assiste comme anesthésiée aux échauffourées et aux dénégations obstinées du Procureur de la République, qui contresigne toutes les déclarations des policiers. C’est la visite de policiers chez eux, à une heure avancée de la nuit, pour leur demander de calmer les émeutiers qui met le feu aux poudres. Encouragée par un militant politique, Malika, la grande sœur de Karim, entreprend alors de réagir et d’exiger une enquête sur la mort suspecte de son frère. Pour se faire il lui faut trouver un avocat (et de quoi le payer) et parler aux médias, ce à quoi elle n’est pas du tout préparée.
Présenter en salle un film qui traite ouvertement des violences policières, en France, en 2023, à peine quelques mois après les émeutes de juillet, il y a ceux qui trouvent cela courageux, ceux qui trouve cela scandaleux (les deux camps sont en train de s’affronter sur Allociné, au point que cela en devient ridicule !) , et ceux qui, comme moi, trouvent que tous les sujets sont à priori légitimes d’être portés à l’écran, pour peu que cela soit fait avec talent et intelligence. Le film que propose Mehdi Firki est-il un bon film de cinéma ? Avant de trancher sur quoi que ce soit d’autre, c’est cette question là qu’il faut poser. Sans être follement original dans sa réalisation, dans sa construction, dans sa mise en scène, je suis tentée de dire oui. « Avant que les Flammes ne s’Eteignent » est un film court (1h35), ramassé et bien rythmé. Peu de flash back (juste une scène d’anniversaire à la fin), avec quelques bonnes idées (comme l’arrestation de Karim racontée uniquement par le son, ou la présence de Karim à ses propres funérailles, en observateur juste derrière ses deux sœurs), une mise en scène très propre et une musique un peu répétitive, un peu lancinante, qui est plutôt bien utilisée. Le film accroche le spectateur pour ne plus le lâcher, jusqu’au générique final qui montre les vraies images des vraies familles au combat pour la mémoire de leur fils/frère/petit ami. Lors de ce générique de fin, on reconnait des visages que l’on n’a pas oubliés, et si on ne les a pas oubliés, c’est précisément grâce aux combats de ces gens en deuil : CQFD. Au final le film ne parle pas d’un gamin tué lors d’une interpellation et des policiers qui l’ont contrôlé, mais d’une famille qui décide de se battre contre l’institution policière et judiciaire, tout en sachant pertinemment ce que cela va lui couter. C’est la grande sœur, incarnée par une Camélia Jordana très impliquée, qui monte au créneau. J’aime bien cette actrice courageuse, qui assume ses engagements, je la trouve entière et elle incarne parfaitement Malika, dans toutes ses contradictions. Jeune épouse et mère de famille, elle avait des relations tendue avec son frère (qui n’était clairement pas un ange) et c’est une sorte de réconciliation post-mortem qu’elle tente, inconsciemment. A ses côté, des rôles bien tenus par Sofiane Zermani, Sonia Faidi, et les toujours impeccables Samir Guesmi et Sofian Khammes. Ce sont de beaux seconds rôles, pas anecdotiques, avec leur vraies problématiques et leur vraies histoires personnelles, pas juste des faire valoir du rôle principal. Le scénario de « Avant que les Flammes ne s’Eteignent » est une pure fiction, qui fait quand même sacrément écho à l’affaire Adama Traore, ce serait-ce que dans les circonstances de la mort de Karim. Le film montre comment les familles, démunies devant les institutions et écrasées par le deuil, sont piégés d’emblée. Elles veulent évidemment récupérer le corps de leur défunt et le faire inhumer, et en faisant cela, elles se piègent elles-mêmes car plus aucune expertise, plus aucune démarche judiciaire ne sera possible. Il leur faut du courage et de la rage à un moment où personne n’en aurait. Et puis, on leur demande de calmer les émeutiers comme si elles en étaient responsables : la visite des policiers, armés d’intentions louables mais très maladroite, ne pouvait que dégénérer. Le scénario prends d’emblée la parti de ne montrer qu’un côté du miroir, celui de la victime et de sa famille. La police est filmée comme une sorte de bloc solidaire et sans visage, donc un peu inhumain par essence. On peut le déplorer, parce que c’est faire fi un peu facilement des nuances qui peuvent exister de ce côté-là du miroir, de policiers qui ne veulent plus faire bloc, de policiers qui doutent, qui ont peur, qui s’interrogent. Plus le film avance, plus on se rend compte que Karim n’est pas blessé en garde à vue mais sur la voie publique, ce qui ne manque pas de poser des questions que le film élude (les témoins, l’enquête interne, les éventuels mensonges concertés, les doutes aussi, donc…) En se concentrant sur la famille, sur Malika, sur son combat et le prix qu’elle doit payer, le film parle presque davantage plus du deuil que des violences policières. On peut trouver comme moi le film un tout petit peu bancal, un tout petit peu inabouti tout en reconnaissant que sur le fond, il y a des choses à en tirer. Si on n’est pas adepte de la politique de l’autruche, aveugle et sourd sur le sujet tel un ministre de l’Intérieur, alors il y a définitivement quelque chose à retenir de ce film. Pour cela, il faut faire l’effort d’enlever ses deux œillères, celle de l’œil gauche, et celle de l’œil droit.