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La famille Guerraoui, d’origine marocaine, est un modèle d’intégration depuis leur installation dans l’Ouest Américain dans les années 70. Le père de famille Driss et son épouse tiennent un « diner » qui marche bien et leurs deux filles ont fait de belles études. Lorsqu’un soir, en fermant son restaurant, Driss est mortellement renversé par une voiture qui prend la fuite, tout le monde pense a un tragique accident. Tout le monde sauf la benjamine de la famille, Nora. Elle n’arrive pas à faire le deuil de ce père adoré, et elle sent, au fond d’elle, que cet accident cache quelque chose de plus laid.
En voilà une bonne surprise que ce roman de Laila Lalami. Les chapitres sont courts et le narrateur change à chaque fois, c’est un procédé qui n’est pas nouveau mais qui a déjà fait ses preuves. Lorsque le roman commence Driss est déjà mort, l’intrigue part donc de l’annonce faite à Nora, c’est elle qui sera le fil rouge du roman. Tous auront droit à leur chapitre, leurs impressions, leur point de vue : Nora tient évidement le haut du pavé, c’est elle qui aura le plus de chapitres et dont le personnage évolue le plus. Entre douleur du deuil, entêtement à comprendre qui a tué son père, et errements dans sa vie professionnelle et sentimentale, c’est sur elle que la mort de Driss aura le plus de répercutions. Et puis il y a des chapitres du point de vue de sa sœur ainée, de leur mère, de leur père décédé (sous forme de flash back), de la policière (noire, cela a son importance) chargée de l’enquête, de l’adjoint du shérif Jeremy et même de l’auteur de faits. Cette multitude de point de vue permet de dessiner une sorte de fresque de l’Amérique d’aujourd’hui. Fresque sociétale sur la place des musulmans en Amérique, sur le problème racial plus prégnant que jamais, mais aussi fresque familiale car dans la famille Guerraoui, tout n’allait bien si bien que cela. La mort de Driss va exposer (et creuser) les failles entre Nora et sa mère, entre Nora et sa sœur. C’est donc un double portrait que « les Autres Américains » proposent, le portrait d’une famille déracinée, musulmane (avant et après le 11 septembre), sur la place de la foi, du communautarisme, et le portrait d’une petite ville américaine du Mojave, où le rêve américain est encore possible mais où les relents racistes sont toujours là. Pas évident de placer ce roman dans le contexte, aucune date précise n’est indiquée : ce roman se situe probablement aujourd’hui (Nora est au lycée en 2001, aujourd’hui elle a moins de 30 ans, on peut donc tabler sur une intrigue contemporaine) mais au fond qu’importe, quelle que soit le Président au pouvoir les mêmes problèmes demeurent. Driss a-t-il été victime d’un crime de haine ? Dans les derniers chapitres une réponse se dessine, en filigrane, elle n’est ni affirmative ni négative elle navigue entre les deux, dans cette « zone grise » qui permet toute les interprétations. « Les Autres Américains » est un roman agréable à lire, et on s’attache vite à Nora, on s’approprie son chagrin, on le fait notre d’une certaine façon. Il faut dire que si son père n’était pas un homme parfait, il y avait entre lui et sa petite dernière une relation particulière d’une grande tendresse qui est extrêmement touchante. En plus d’être le portrait d’une famille déracinée et d’une Amérique déboussolée, ce roman est aussi un joli roman sur le deuil.