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Pur produit de l’Ecole Républicaine et de la méritocratie, Sabri a obtenu le poste de Principal Adjoint dans un collège de Mulhouse, en attendant une promotion qui devrait l’emmener plus haut encore. Dans ce collège où étudie son fils unique de 14 ans et où officie la mère de celle-ci en tant que professeur, il donne le ton avec rigueur et sévérité. Il a de grande ambition pour son fils Naël, par ailleurs excellent élève. Alors quand il comprend que ce dernier a fait des impasses sur le programme d’Histoire, en vue du brevet des collèges, et qu’une mauvaise note pourrait compliquer son dossier scolaire, il commet alors une faute déontologique, faute qui pourrait lui coûter très cher, ainsi qu’à son fils.
Chad Chenouga nous propose, avec le sobrement intitulé « Le Principal » le portrait d’un homme très enfermé en lui-même. Très sobrement réalisé, sans chichi mais avec une certaine application, le film est assez court, presque trop court on pourrait même dire. Le fin arrive au bout de mois de 90 minutes et elle se termine un peu étrangement, sur un plan fixe un tout petit peu nébuleux. On pourrait même aller jusqu’à parler de queue de poisson tant on se sent un peu décontenancé sur notre siège de cinéma quand le générique de fin apparait. Cette fin un peu frustrante est à mettre à l’actif d’un scénario qui semble avoir sacrifié l’intrigue au profit du portrait de son personnage principal. Ceci dit, pris dans son ensemble, « Le Principal » ne manque pas de qualités, la musique est sympathique et discrète, le film est rythmé. L’humour n’est pas absent du long métrage, mais il est très discret et ce n’est jamais le personnage de Sabri qui en est à l’origine. Et pour cause, Roschdy Zem compose un personnage central très complexe, pas tout à fait sympathique, pas antipathique non plus en dépit de ses errements. En fait, Sabri est un homme qui visiblement n’est nulle part à sa place. Il n’appartient plus à la Cité qu’il a quitté au prix d’un travail scolaire apparemment acharné. Il vit séparé de son compagne, dans une maison cossue remplie de livres (c’est un fou de littérature), il porte des costumes tous les jours, fait du sport en foret, roule dans une belle voiture. Socialement, il a réussi, mais c’est comme si dans sa tête il était en permanence sous le couperet, comme s’il s’attendait a tout moment à devoir revenir à la case départ. Roschdy Zem, par ailleurs parfaitement à son affaire, compose un personnage corseté par la peur de voir ses efforts permanents réduit en poussière. L’image de son frère, maniaco-dépressif mal soigné et sous-tutelle, à la dérive, est un miroir terrible pour lui. Il est pourtant attachant, ce frère très bien interprété par Hedi Bouchenafa, mais il représente tout ce contre quoi Sabri lutte en permanence, une sorte de menace irrationnelle. Sabri est un personnage très complexe, mutique, qui ne donne pas beaucoup de clefs pour le comprendre, ni au spectateur, ni à ses collègues, ni à son ex-compagne, ni même sans doute à son fils. Le fait qu’il ait des relations difficile avec les professeurs, et notamment un, est surement emblématique de cette peur vissée au corps, sans doute doublée d’un complexe d’infériorité vis-à-vis d’eux. Ce n’est pas l’ambition qu’il a pour son fils qui lui fait commettre une faute déontologique aussi inutile que stupide, c’est la peur panique que lui renvoi son enfance, son frère, qui le pousse à cette bêtise sans nom. Naël est sur le point de passer son brevet des collèges, il a un dossier scolaire impeccable, il n’a rien à craindre d’une malheureuse épreuve d’Histoire-Géo. Quand on connait le peu de crédit accordé aujourd’hui au Brevet des Collèges au regard d’une scolarité tout entière, on a bien du mal à comprendre le geste de Sabri. C’est bien la preuve de son angoisse irrépressible : échouer même un tout petit peu, c’est échouer tout court. Quelle souffrance psychique cela doit-être que d’être Sabri Lahlali ! Il finit par faire le vide autour de lui, faute de déroger à cette injonction permanente à la perfection, alors qu’un homme cultivé (et charmant) comme lui pourrait être le roi du monde. Je ne comprends pas son geste, mais je crois que je peux le comprendre lui. Le scénario, phagocyté par la complexité de ce personnage, miné par les non dits (Pourquoi s’entend-il si mal avec ce professeur d’Histoire ? Pourquoi son couple a-t-il explosé en vol ? Qu’en est-il de la question raciale ?), semble plus inabouti qu’il ne l’est en réalité. On trouve l’intrigue un peu légère, le dénouement un peu pauvre, on se dit même à la fin « Tout ça pour ça ?! », principalement parce que ce personnage est insondable : le film tourne autour de lui sans jamais réellement le cerner. Plus que l’histoire d’un principal de collège qui commet une faute pour aider son fils à réussir (quel manque de confiance, au passage…), « Le Principal » est davantage un film qui traite d’un sujet à la mode : les transfuges de classe. Il traite ce sujet de façon peut-être un peu frustrante et inaboutie, mais il parvient malgré tout à susciter la réflexion.