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Skender a connu l’armée en tant que légionnaire, il a connu la prison aussi, et aujourd’hui il est à la rue. Il ne voit sa femme et ses deux fils qu’en se cachant pour les regarder de loin, il n’a plus rien, et plus d’espoir. Un ancien copain de la légion, Max, reprend contact avec lui et lui apporte son aide avant de lui présenter sa patronne, Madame. Madame est jeune, veuve et très riche et elle aime la chasse. Elle a tout chassé dans sa vie, toutes les espèces sauf une : l’Homme. Contre une somme d’argent colossale, elle propose à Skender de devenir sa proie : un mois de chasse dans un domaine privé en Roumanie, lui la proie, elle la chasseuse sans aucune autre règle. S’il sort de ces 30 jours encore vivant, les millions seront à lui, en attendant, il touchera une avance et il aura 6 mois pour se préparer et s’entraîner. Skender accepte.
Vous avez aimé Lucas Belvaux derrière une caméra, vous aimerez Lucas Belvaux derrière un stylo. Pour son (premier?) roman, il impose déjà un style. 5 narrateurs (Skender, Max, madame, la femme de Skender et son fils ainé) qui changent à chaque chapitre sans en-tête, il nous faut parfois lire quelques lignes, voir quelques paragraphes avant de comprendre qui parle. Je devrais plutôt dire, comprendre qui pense, car il y a fort peu de dialogues dans « Les Tourmentés », mais plutôt de longs monologues intérieurs. Le style est ultra sec, les phrases très courtes, parfois réduites à quelques mots, voire à un seul mot ! Cela donne un récit qui parfois donne une impression saccadée un peu étrange mais qui ne pose pas de soucis, à partir d’un moment on s’habitue à ce roman au style inhabituel. Sur le fond, le titre du roman donne le ton, Skender, Max et Madame sont des personnages complexes, tiraillés entre leurs aspirations, leurs envies et leurs engagements, engagés tous les trois dans une entreprise complètement folle comme seuls les gens soient trop riches soient trop pauvres peuvent concevoir : une chasse à l’Homme. Le roman est un immense compte-à-rebours, à partir du moment où le pacte st scellé et la chasse en Roumanie programmée, Max entraîne Madame à devenir une machine à tuer, une sorte de Diane Chasseresse ultime. Sa psychologie à elle est confondante, totalement hors des limites, mais un flash back sur son enfance viendra éclairer cette facette de sa personnalité. Max est un peu tiraillé entre Madame (dont il est très platoniquement amoureux) et son ancien ami Skender qu’il va en quelque sorte amener à l’abattoir. Et puis Skender, au début résigné à mourir (mais pas sans se battre) contre des millions posthumes pour sa femme et ses enfants, mais qui commence à se rapprocher d’eux, à renouer des liens, à refaire partie de leur vie, et dont la volonté de se sacrifier décroît. Tout au long de la lecture, on se demande bien comment cela va finir, et par la mort de qui. Les courts chapitres s’enchaînent, la fin se rapproche et la partie de chasse aussi. Plus on s’en rapproche, plus les protagonistes sont perclus de doutes légitimes, jusqu’à un dénouement inattendu. D’aucun le trouveront peut-être frustrant, peut-être un peu facile aussi. Mais il a le mérite de remettre un peu de normalité, voire d’humanité, dans une intrigue qui aura en permanence flirté avec la monstruosité. « Les Tourmentés » est une petite expérience de l’extrême pour le lecteur, un voyage aux confins de la folie humaine et du cynisme absolu. C’est une réflexion intéressante sur les rapports humains, mais surtout sur le pouvoir de l’argent et ses limites : instrument de domination ou au contraire outil de libération, cause des problèmes du monde ou solution à ces mêmes problèmes ? Il semble que l’argent puisse tout acheter mais que précisément, dans ces cas-là, l’argent perde fatalement tout son pouvoir. « Les Tourmentés » de Lucas Belvaux nous offre un éclairage par l’absurde sur cette question universelle et intemporelle.