Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Un point c'est (pas) tout

Un point c'est (pas) tout

Blog sur tout ce qui rend la vie plus chouette...


Le coin des livres : Quatre Heures, Vingt-Deux Minutes et Dix-Huit secondes

Publié par Christelle Point sur 7 Janvier 2023, 09:24am

Quand Remington, tout nouveau préretraité et pas du tout sportif, annonce à son épouse Serenata qu’il compte se préparer pour courir un marathon, elle tombe des nues. Surtout que des deux, avant ses problèmes de genoux, c’était plutôt elle la sportive. Ce que Serenata prends d’abord comme une lubie tourne vite à l’obsession, mais elle se dit qu’une fois le marathon achevé (ou pas!), tout redeviendra comme avant. Sauf que Remington envisage ensuite d’enchaîner avec un triathlon ou plutôt un Mettle Man (un concept proche de l’Iron Man ou peu s’en faut) sous les ordres de sa nouvelle jeune coach : Bambi. Le mariage de Serenata est-il soluble dans le sport ? Elle commence sérieusement à en douter.

J’ai eu un tout petit peu de mal à entrer dans « Quatre heures, vingt-deux minutes et dix-huit secondes », le temps des premiers chapitres introductifs. Mais une fois ces 30 premières pages avalées, on se plonge avec délice et effarement dans la vie quotidienne de ce couple de sexagénaires qui découvrent ce que sera désormais une vie de retraités côte à côte, après toute une vie professionnelle. Serenata travaille encore en free lance mais Remington a été mis à la retraite d’office, suite à une sanction disciplinaire (le chapitre qui explique cette situation est édifiant, à la limite de l’absurde et du grotesque et explique sans doute, en partie, sa nouvelle obsession sportive), et il se lance à corps perdu dans la préparation de ce marathon. Au début, on se dit que Serenata est envieuse, elle qui ne peut plus courir à cause de ses genoux, et que lui a trouvé un exutoire à sa frustration et une occasion de retrouver une certaine estime de soi. Mais une fois le fameux marathon achevé (au tiers du roman), l’obsession de Remington devient malsaine. Son nouveau « club de triathlon » tient plus de la secte qu’autre chose (dépenses de matériel pharamineuses, obstination même en dépit des accidents musculaires, sentiments de supériorité morale, dénigrement des autres, mise en danger physique…) et je trouve Serenata très patiente de les tolérer chez elle. Personnellement je les aurais chassés de chez moi, vu la façon dont ils osent lui parler ! Ce roman est autant une peinture acide de l’obsession de la société américaine pour le sport, la performance, l’individualisme et le dépassement de soi qu’un roman sur la difficulté à vieillir ensemble. Quand le nouveau retraité que l’on croyait si bien connaître devient un étranger, le couple peut-il y survivre ? On peut faire confiance à Lionel Shriver pour pointer avec acuité les travers de la société américaine : comme quand elle décrit la foi envahissante des « reborn » : la fille du couple en est une, et porte sa nouvelle foi en bandoulière, elle est insupportable au bout de deux paragraphes ! Sans oublier la pointe d’humour, le roman et ses 12 gros chapitres passent finalement bien. Le fameux Mettle Man, qui occupe tout le dernier chapitre (suspens et dramaturgie bien rendue), est le point d’orgue de ce roman qui aura trouvé finalement assez vite le bon ton et le bon angle. Si vu d’ici, on peut trouver certains passages excessifs, je fais confiance à l’auteure pour jeter une lumière crue sur les réalités bien tangibles d’une société américaine qu’en Europe, parfois, on comprend bien mal. Avec « Propriétés Privées », « La famille Mandible » et surtout « Il faut qu’on parle de Kevin », elle avait déjà prouvé son talent d’observatrice pointue et sa plume sans concession. Ici, elle enfonce le clou sur un sujet différent, moins lourd, mais elle est toujours aussi pertinente.

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article

Archives

Nous sommes sociaux !

Articles récents