/image%2F0902697%2F20220820%2Fob_cafd5d_le-jeu-de-la-dame.jpg)
Le destin de la petite orpheline du Kentucky, Elizabeth Harmon, se joue dans les sous-sols de son orphelinat, le jour où on lui a ordonné d’aller nettoyer les brosses du tableau. Elle surprend l’homme à tout faire de l’établissement face à un jeu d’échecs où il semble affronter un adversaire invisible. Elle sera cet adversaire désormais, et Beth apprends vite. Très vite, elle visualise les parties, anticipe les coups, apprends les ouvertures, travaille durement ses stratégies, et découvre l’ivresse des victoires. Exceptionnellement douée pour ce jeu, Beth y consacre tout son temps, toute son énergie, sacrifiant quasiment tout le reste. De son premier tournoi scolaire à l’affrontement contre le maître soviétique, Beth déploie son intelligence hors du commun aux yeux de tous, et doit pareillement combattre ses démons intimes.
Après avoir vu, et beaucoup aimé la série éponyme de Netflix, j’ai vraiment eu envie de lire le roman dont elle était l’adaptation. Ca permet déjà de savoir si l’adaptation est fidèle à l’œuvre initiale ou pas. Dans le cas du « Jeu de la dame », la série est d’une fidélité totale dans l’intrigue, dans l’ambiance, dans l’intensité du livre. On y suit le parcours de Beth Harmon, sur une durée de 10 ans environ, de 8 à 19 ans, en plein cœur des 60 ‘s, en pleine guerre froide. Le contexte à son importance car dans les années 60, le monde des échecs est dominé de la tête et des épaules par l’Union Soviétique et aucun des meilleurs joueurs occidentaux ne peuvent rivaliser. Beth Harmon est certaine de pouvoir le faire, et peu importe qu’elle soit une jeune femme dans ce monde quasiment exclusivement masculin, peu importe qu’elle soit orpheline, originaire de l’Amérique profonde et modeste. Sa capacité à visualiser les parties dans son esprit, à anticiper les coups, à élaborer des stratégies de plus en plus pointues et complexes est proprement fascinant. Surtout pour le lecteur qui, comme moi, n’entends rien aux échecs, n’a jamais su y jouer et suis même incapable de gagner aux Dames ! J’ai eu l’impression de tout comprendre, d’être captivé par les parties alors même que je n’y entends pas grand-chose. C’est tout le talent de Walter Tevis, de rendre si bien la magie des échecs même aux yeux des profanes. J’imagine combien ce roman peut être un bonheur à lire pour un vrai joueur, il doit y trouver encore plus d’émotion que moi. Le style de Walter Tevis est agréable à lire, on suit le parcours de cette jeune femme un peu décalée, qui a bien du mal avec les relations sociales, avec les sentiments et qui doit lutter contre ses addictions : l’alcool et aussi les fameux « calmants » que l’orphelinat distribuait quotidiennement. On se demande longtemps, et Beth avec nous, si ce sont ces médicaments psychotropes, auxquels la jeune femme est quasiment accro, qui sont à l’origine de son talent inouï. Le roman reste évasif sur cette question. Le roman est émaillé par les tournois auxquels Beth participe, d’abord locaux, puis nationaux, puis internationaux. Ces tournois sont dépeints comme des matchs de boxe ou des assauts d’escrime, comme des sports de combats ou la stratégie consiste à parer les coups et à donner l’estocade. C’est sans doute cette façon sportive (voire même guerrière, après tout l’échiquier peut aussi s’apparenter à un champ de bataille) de dépeindre les parties qui nous les rends si intelligible et qui nourrit le suspens. Il ne faut donc pas avoir peur de se lancer dans la lecture du « Jeu de la Dame », quand bien même les échecs nous semblent un monde étranger, le roman de Tevis est très accessible. C’est une déclaration d’amour aux échecs, mais c’est aussi un livre sur l’intelligence et le prix qu’elle peut couter, un livre sur une femme puissante dans un monde masculin : c’est un roman passionnant.