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La famille Pelissier vit à Beyrouth et a fait fortune dans la fabrication du savon. Louis et Angèle ont 4 enfants, et les 4 rêvent, et c’est bien naturel, d’aller vivre leur vie loin du Liban...et de leurs parents. Louis a bien tenté d’introduire son aîné Jean dans l’entreprise familiale mais Jean n’est clairement pas à la hauteur. D’ailleurs Jean n’est pas à la hauteur de grand-chose, même parti travailler à Paris avec son (insupportable) épouse Geneviève, il montre immédiatement ses limites. Son frère François a raconté à ses parents qu’il a intégré Normale Sup à Paris, mais en réalité il poursuit péniblement son rêve de journaliste comme gratte papier mal payé au service des chiens écrasés. Étienne est parti pour Saigon rejoindre son amant légionnaire. Dans cette Indochine sur le point d’être perdue, Étienne découvre la Guerre, et le colonialisme dans ce qu’il a de plus vicié. Et puis la forte tête Hélène, trop jeune pour partir, se contente de coucher avec un de ses professeurs. La mort, le destin, le hasard, la famille Pelissier trace douloureusement sa route ce monde d’après-guerre incertain, encore très marqué par le conflit mondial, et qui annonce les 30 glorieuses et la fin des empires coloniaux.
Au moment d’entamer « Le Grand Monde », j’avais une toute petite inquiétude. Allais-je retrouver ce que j’ai tant aimé dans la précédente trilogie « Les Enfants du Désastre » de Pierre Lemaitre, à savoir un formidable sens du récit, un style fluide et plein d’humour et un contexte historique d’une richesse inépuisable ? La réponse est sans ambiguïté « oui » car « le Grand Monde » est un grand roman au sens le plus premier du terme. C’est une sacrée aventure que de suivre cette famille à Beyrouth, à Paris et à Saigon, c’est une aventure « format panoramique » qui brasse le polar, le récit initiatique, la fresque historique, le pamphlet politique, le drame psychologique et plein d’autres choses encore. Les personnages sont tous très complexes, sympathiques et antipathiques à la fois, pleins de secrets (plus ou moins noirs, plus ou moins inavouables) et de contradictions, capables du pire comme du meilleur, du crime comme de l’héroïsme. Le tour de force est de rendre très attachant des personnages si ambigus et plein de défauts ? Finalement même l’insupportable, machiavélique et imprévisible Geneviève, on sera heureux de la retrouver dans le tome suivant, surtout qu’on lui doit le cliffhanger final et une bonne partie de l’humour noir du roman. Les chapitres en Indochine sont assez incroyables : la culture asiatique (et ses sectes religieuses), le fonctionnement hallucinant de l’administration coloniale (et le trafic de monnaie), les horreurs de la guerre (des deux côtés des atrocités sans nom sont commises dot l’indifférence générale), tout est tellement inouï qu’on a du mal à croire ce qu’on lit, et pourtant… Je fais confiance à Lemaitre qui a toujours beaucoup travaillé sa documentation sur la trilogie précédente. Les chapitres à Paris relèvent peut-être un peu plus du polar : des crimes sont commis, et un en particulier dans un cinéma défraie la chronique et touche de (très) près Jean, François et Geneviève. Et puis il est question de spoliations des magasins juifs, d’épuration, d’éthique journalistique, de coup de foudre, de beaucoup de choses en fait. Le résultat est une sorte d’immense fresque dans laquelle on navigue avec bonheur, d’autant que les petits rebondissements comme les gros sont presque tous imprévisibles ! Le livre ne se lit pas, il se dévore… Il y a deux coups de théâtre très importants : le premier est tragique et, j’imagine, n’a pas fini de faire des vagues jusque dans les romans suivants. Le second est ÉNORME, il arrive au chapitre 40 (soit 10 chapitres avant l’épilogue) et il m’a cueilli comme une fleur : impossible de le voir arriver et pour tout dire… il m’a presque fait pleurer ! Je ne pensais pas que Lemaître allait prendre ce chemin-là pour sa deuxième trilogie, et j’en suis ravie. En résumé, « Le Grand Monde » c’est un grand roman populaire au sens le plus noble du terme, passionnant et très instructif, hyper documenté, plein d’ironie et d’humour noir, plein de rebondissements, de hasard et de sentiments exacerbés. C’est pour moi un gros coup de cœur parfaitement à la hauteur de l’inoubliable trilogie commencée avec « Au Revoir Là-haut ».