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Elle s’appelait Clara, elle n’avait que 21 ans et croquait la vie à pleine dents. Elle aimait plaire, elle avait pas mal de petits amis, pas tous triés sur le volet. Clara est morte la nuit du 12 au 13 octobre 2016, brulée vive dans une rue déserte de Saint-Jean-de-Maurienne par une personne sont elle n’a même pas pu voir le visage. Qui l’a tué ? Pourquoi ? La PJ de Grenoble remue tout, interroge, coupe et recoupe, et rien n’y fait, personne ne sait qui et pourquoi Clara, 21 ans, a connu cette mort atroce. Et bientôt, presque tout le monde l’aura oublié.
Avec ce film noir d’un tout petit peu moins de 2 heures, Dominik Moll affiche la couleur avant même le premier plan, avant même la toute première image, cette enquête échouera, cet assassin restera impuni. Il choisit d’emblée de ne pas tromper le spectateur. Avec « La Nuit du 12 », pas de révélation finale ni de coup de théâtre, ce film est un long métrage sur la frustration d’une enquête de police qui échoue et qui mine la vie et l’esprit des enquêteurs qui pourtant, font tout comme il faut. Du coup, passé les premières minutes très éprouvantes (car le meurtre n’est pas suggéré, il est montré, tout comme le cadavre ensuite), Dominik Moll déroule son enquête. Il explore ce fait divers qui n’a pas d’autre nom qu’un féminicide et qui met les enquêteurs, tous des hommes, en face de leur propre attitude envers les femmes. Ce que le scénario de Dominik Moll montre avec beaucoup de pertinence, c’est que même si c’est bien un homme qui a tenu le briquet (encore que, ça pourrait être une femme, factuellement, mais allez savoir pourquoi personne n’y croit !), sa motivation est à chercher du côté de tous les hommes. Moll filme des enquêteurs chez qui cette vérité s’impose doucement, les mettant de plus en plus mal à l’aise, au point même d’en faire craquer un. Il y a peut-être des spectateurs qui trouveront le propos exagéré, caricatural, les rôles masculins improbables de bêtise, d’arrogance, de violence. Même si c’est vrai que la jeune Clara ne tombait pas sur la crème de la crème point de vue bonhomme, pour moi le scénario ne tombe pas à côté de son sujet. Il faudrait être aveugle et sourd aux faits d’actualité pour penser que Dominik Moll ne transpose pas au cinéma une réalité bien tangible et bien cruelle. Quand il montre une brochette d’hommes toxiques (et violents et/ou arrogants et/ou immatures), ça sonne vrai. Tout comme ça sonne vrai quand il montre une police dénuée de moyens qui travaille avec du matériel dépassé, tout comme ça sonne vrai quand il montre des enquêteurs à la vie personnelle ravagée par leur métier, tout comme ça sonne vrai quand il montre une enquête qui piétine et qui ne sera peut-être jamais élucidée. Parce que la vie ce n’est pas comme dans les romans noirs, parfois l’assassin reste impuni, quelle que soit l’abomination de son crime. C’est insupportable, c’es injuste, mais c’est comme ça. Là où je trouve qu’il fait un très bon travail de réalisation, c’est que même connaissant d’emblée l’issue de l’enquête, on marche avec la police, on cherche avec elle, on se prend à espérer quand même un petit rien du tout qui va enfin ouvrir la bonne porte. Susciter le suspens en ayant donné au départ le résultat, c’est un petit exploit quand même ! Son film est très réussi, bien filmé, les paysages sont magnifiques et la musique, discrète, bien calée sur les images. Pas de temps morts, quelques scènes clefs (dont la troisième audition de le meilleure amie de Clara, pour moi une des plus belles scènes du film point de vue dialogue), pas de pathos, un très bon équilibre. Le casting est dominé par des comédiens assez formidables, Bastien Bouillon d’un côté en jeune chef de groupe, tout en colère rentrée, c’est le personnage chez qui on sent très vite le chemin intérieur que cette affaire suscite, de son point de vue d’homme. Bastien Bouillon, que je ne connaissais pas, est étonnant de justesse. Et puis Bouli Lanners, dont on connait la puissance de jeu et qui trouve ici, dans le rôle de Marceau, je trouve un de ses plus beau. Il disparait dans la deuxième partie du film (car le film se divise en partie, la dernière demi-heure se situant en 2019) car son personnage craque. A fleur de peau à cause d’une vie personnelle en lambeau, ce féminicide lui est insupportable quasiment le premier jour, et sonnera le glas de sa carrière de policer. Les autres comédiens sont très bien mais Anouk Grimberg, par exemple, n’a que 2 petites scènes pour s’exprimer, ce qui n’est quand même pas beaucoup. Mention spéciale pour Pierre Lotin, dans le rôle pour le coup d’une vraie ordure, et qui, en une minute montre en main, nous donne furieusement envie de le mettre dans une cage et de jeter la clef. Susciter autant de dégout en si peu de seconde, c’est assez rare. « La Nuit du 12 » n’est pas un film facile, agréable et qui « passe crème ». Il remue des vilaines choses, il apporte beaucoup de frustration et de colère. « Il y a quelque chose qui cloche entre les Hommes et les Femmes », le film de Dominik Moll met le doigt dessus et appuie, peut-être un peu fort, mais qui peut dire qu’il est dans l’erreur.