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A Berlin en 2021, en se faisant passer pour un journaliste, un citoyen italien nommé Fabrizio Collini assassine Jean-Baptiste Meyer, un célèbre chef d’entreprise allemand, de trois balles dans la tête avant de s’acharner sur le cadavre. Puis il se rend à la police et n’ouvre plus la bouche. Un jeune avocat, fraichement diplômé est désigné pour le défendre. Inexpérimenté, de surcroit lié personnellement à la famille de la victime, le jeune avocat Caspar Leinen décide malgré tout de défendre Collini du mieux qu’il peut. Mais, devant le mutisme obstiné de son client, il se prépare à subir un premier procès d’assise expéditif. C’est lorsque qu’est évoqué l’arme du crime que Caspar commence à entrevoir le bout de laine de la pelote qu’il va devoir tirer pour éclaircir le seul et unique enjeu du procès : le mobile.
Avec « L’Affaire Collini », le réalisateur allemand Marco Kreuzpaintner nous offre un « court movie » (ou film de tribunal en bon français) passionnant et pertinent. Le film, qui dure deux heures (et qui parait en faire beaucoup moins, ce qui est très bon signe) part bille en tête avec une scène muette glaçante, celle d’une exécution de sang froid suivie d’une reddition. Le film est parsemé de flash back. Dans un premier temps, ces retours en arrière concernent la victime, on en apprend plus sur elle, sa famille mais aussi sur son passé commun avec Caspar Lienen. Dans la seconde partie du film, les flashs back seront plus anciens, et ils seront abominables, je préfère le dire tout de suite. Bien placés dans le récit, ces petites parenthèses donnent du corps au récit et montre toute la complexité de la situation dans laquelle se retrouvent tous les protagonistes. Le film n’est pas exempts de petits défauts de forme, avec une musique qui appuie un tout petit peu trop les scènes clefs. Et puis il y a aussi ses « effets de manche », très habituels aux films de tribunaux, ces effets qu’on voit voir de loin parce qu’on les a déjà vu mille fois. Par exemple, le témoin qui est appelé à la barre et qui est plein de morgue, de condescendance et qui fait rire la salle, tu peux être sure que pendant son interrogatoire, il va morfler ! C’est de bonne guerre, je pense que c’est presque un trait obligatoire des films de cour d’assise. Côté réalisation, tout est très académique mais très soigné, avec une jolie photographie et une utilisation intelligente du son. Le scénario bute le mur du silence de Fabrizio Collini. Son avocat, puisque c’est de son point de vue que le film se place, cherche à comprendre par quel bout il peut entamer cette défense impossible. Pendant toute cette première partie, disons jusqu’à l’évocation de l’arme du crime (puisque c’est le point de bascule), le film penche du côté du thriller psychologique : Caspar veut faire parler son client, qui refuse. Caspar est gêné aux entournures car il doit beaucoup à la victime, et il est très lié à sa famille, il est même à deux doigts de se récuser. Pourquoi ne le fait-il pas ? Il est poussé à rester par la partie adverse et c’est déjà là que les choses deviennent carrément suspectes. D’origine modeste, à moitié allemand par son père et à moitié turque par sa mère, Caspar sait qu’il ne faut pas grand-chose pour qu’on le renvoie à ses origines, à son inexpérience, à la loyauté qu’il est censé honorer envers la victime. Tiraillé dans la première partie, il s’en détache clairement dans la seconde pour tirer le bout de la pelote de laine et mette au jour ce qui est purement et simplement un scandale juridique. C’est un film dense qui traite de beaucoup de chose : de la loyauté et de ses limites, de la justice et de la façon dont elle est rendue, et aussi de la façon dont elle n’est pas rendue. Si l’affiche du film ne vendait pas la mèche d’emblée (bravo au distributeur, bien joué !), on pourrait se demander pendant un bon moment vers quelle histoire on se dirige : vers une histoire scabreuse ? Vers un scandale datant de l’Allemagne de l’Est ? En réalité, c’est par petites touches que le scénario nous oriente vers l’Italie de 1944 (une arme, une date sur une pierre tombale, un lieu de naissance sur une carte d’identité). Mais une fois qu’on y est, le scénario est limpide, et implacable. Et on pense immédiatement à un autre film « Le Labyrinthe du silence », qui dénonçait presque le même scandale, d’une autre manière. Le film doit beaucoup à son rôle titre, l’acteur Elyas M’Barek, un acteur peu habitué à ce genre de rôle et qui pourtant, tient le film sur ses épaules sans jamais faiblir, en trouvant toujours le ton juste. Il écrase un petit peu les autres rôles, c’est vrai, parce qu’il a un vrai charisme et que l’on sent qu’il tient son rôle d’une main ferme et décidée, à l’image de son personnage. Si l’on exempte quelque petits défauts de forme (par exemple une image de fin très téléphonée) et peut-être quelques incohérences disons « juridiques » (mais je ne connais pas le fonctionnement de la Justice allemande), « L’Affaire Collini » est un film que je suis drôlement contente de ne pas avoir laissé passer. Je me demande même s’il n’est pas un des meilleurs, si ce n’est le meilleur de 2022 à ce jour ?