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Bill Baker débarque à Marseille depuis son Oklahoma natal pour rendre visite à sa fille unique, Allison. Elle est emprisonnée aux Baumettes pour le meurtre de sa compagne, un meurtre qu’elle nie et qu’elle toujours nié. Ce n’est pas le premier séjour de Bill dans la capitale phocéenne, chaque fois il descend dans le même hôtel, reste 15 jours, visite plusieurs fois sa fille et repart : que faire d’autre ? Lui, le redneck qui ne comprends rien à Marseille et au système pénal français, qui ne comprends même pas le français, que pourrait-il faire de plus ? Mais cette fois c’est différent, il y a cette rumeur qu’Allison a entendu sur l’identité du vrai coupable, une vague piste que son avocate refuse de suivre. Alors Bill reste, sympathise avec Virginie, sa voisine de chambre à l’hôtel, et entreprend de suivre lui-même cette piste un peu fumeuse qui pourrait pourtant ne déboucher sur rien.
« Stillwater » est présenté comme un thriller mais c’est bien autre chose que cela. On pourrait être tenté, au vu du résumé, de penser qu’on va assister à une énième resucée de « Taken » avec un justicier américain dans les rues de Marseille, avec gros gun et courses poursuites. Si c’est cela qu’on espère de « Stillwater » en entrant dans la salle, alors on va être très déçu ! Tom Mac Carthy, propose un film qui se rapproche davantage de « Frantic » (un excellent film de Roman Polanski, je conseille) que de « Taken ». Le film fait 2h20, ce qui est quand même assez long, il commence et il se termine dans une bourgade pauvre d’Oklahoma mais entre les deux, il y a Marseille, qui est presque un personnage à part entière dans le film. Tom Mac Carthy filme Marseille de la bonne façon, en essayant d’en embrasser tous les aspects. Bien-sur il y a les Calanques, bien-sur il y le match au Vélodrome, mais il y aussi les immeubles délabrés, les caves sordides, les quartiers nord. Mac Carthy s’applique davantage à filmer les quartiers populaire que Notre-Dame de la Garde ou le Vieux Port. Evidemment, le temps y est toujours magnifique, la ville est écrasée de soleil quel que soit le mois de l’année (car Bill reste longtemps) mais bon, on en va pas chipoter. Je suis déjà bien contente qu’un réalisateur américain ait pris le parti-pris de filmer une ville française loin des clichés de carte postale. Le seul défaut que je trouve à « Stillwater » dans sa forme, c’est qu’il est un tout petit peu trop long, il aurait pu resserrer son film et le raccourcir de 10 ou 15 minutes assez facilement. Pour le reste, rien à redire : musique discrète, très légères pointes d’humour, les scènes d’action ou de suspens ne sont pas sur-écrites. J’insiste quand même sur un point : il faut voir le film en VOST pour bien appréhender la question de la langue. Si on voit le film entièrement doublé, on passe à côté du jeu français/anglais qui donne un vrai relief au film : les efforts (ou les non efforts) que font les uns et les autres pour parler l’anglais, les progrès de Bill en français, on passe à coté de tout cela sans la VOST. Autant le dire d’emblée, Matt Damon est absolument parfait dans le rôle de Bill Baker. Le personnage est très écrit, au début en le voyant débarquer à Marseille sans jamais avoir fait le moindre effort pour apprendre à dire trois mots en français, quand on le voit remercier Jésus avant chaque repas, on pense avoir affaire à une caricature de sudiste. Mais en fait, le personnage est bien plus multicouches que cela : il n’a pas un passé peu reluisant, il n’a jamais vraiment élevé sa fille, il souffre d’un gros complexe d’infériorité, il est excessivement poli mais c’est parce qu’il est mal à l’aise dans un pays tellement différent du sien. Et puis le personnage s’affine, il s’ouvre au monde, à la France, à la ville de Marseille, à Virginie et à sa fille Maya, il finit par se faire sa petite place dans cette ville. Matt Damon a la chance d’incarner un personnage aussi riche, et il le fait très bien. Camille Cottin et la jeune (et adorable) Lilou Siauvaud l’accompagnent avec délicatesse, forment avec lui une sorte d’étrange famille recomposée faite de bric et de broc mais qui fonctionne. De son côté, Abigail Breslin campe un tout petit peu maladroitement une Allison Baker qu’on n’arrive jamais à cerner. C’est peut-être le point faible du casting, elle a un peu de mal à faire passer une émotion. C’est peut-être voulu par le scénario, pour créer une Allison légèrement ambigüe, je ne sais pas. Le scénario semble s’inspirer d’une véritable affaire, l’affaire Amanda Knox qui s’est déroulé en Italie il ya quelques années. Je dirais presque que le plus intéressant, dans « Stillwater », ce n’est pas réellement l’intrigue policière. Bien-sur, on aimerait bien savoir comment tout cela va finir, si l’innocence d’Allison va être ou non démontrée par l’acharnement de son père. Mais au fond, ce n’est qu’une partie de l’intérêt du film. Ceci dit, le dénouement est réussi même si j’ai déjà l’impression de l’avoir déjà vu ou lu plusieurs fois. Le rebondissement, ou plutôt le tournant du film, est malgré tout bien amené et fonctionne très bien. Mais en réalité, c’est le contraste culturel entre la culture de Bill et celle de Marseille qui imprègne tout le film et qui fait la réussite du scénario. Lui vient de l’Amérique sudiste, fait la prière avant de manger, ne comprend pas grand-chose au système pénal, au fonctionnement de la police, aux quartiers nord, aux supporters de foot : il regarde tout avec un œil parfois incrédule voire naïf. Et pourtant ce type qui n’était pas un type heureux au départ dans son bled américain, finit par s’épanouir dans ce monde si différent, il s’ouvre comme une fleur, tout doucement, et finit même par trouver ici un équilibre qu’il n’avait jamais trouvé là-bas, c’est d’ailleurs confirmé par la toute dernière réplique du film. Il y a quelque chose d’optimiste dans « Stillwater », en dépit de toutes les apparences, quelque chose comme une ouverture à la culture de l’autre dans la douceur. Un exemple : avant le repas, Virginie et Maya lui donne la main et le laisse faire sa prière, elles le regardent en silence, sans jugement, sans ironie, elles ne prient pas mais elles participent au rituel pour lui faire plaisir, tout simplement. Le scénario n’est ni indulgent ni caricatural avec Marseille, il y a du racisme crasse, de la violence et du deal, mais il y a aussi de la prévenance, de la politesse, de l’empathie. On apprécie de voir, dans un film américain, un scénario qui fait des vrais efforts pour éviter les poncifs et les raccourcis. La fin est douce-amère et plutôt réussie, sans naïveté aucune, j’avoue avoir eu les yeux un peu humides. « Stillwater » (le titre parait bizarre mais il est très pertinent) est une réussite, c’est un film qui donne à Matt Damon un de ses plus beaux rôles depuis longtemps.