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Nour vient d’être embauchée comme infirmière dans l’usine dans laquelle son père Slimane travaille depuis presque 30 ans. Lui est délégué syndical, il connait tout le monde et a l’estime de ses collègues comme de la direction. Il ne se passe pas longtemps avant que Nour ne découvre que le suivi médical des employé est négligé, que les mesures de sécurité sont inadaptées et que les accidents du travail sont dissimulés. En creusant un peu plus, Nour comprend que c’est tout un système de pollution aux boues rouges que l’entreprise cherche à camoufler. En s’attachant à faire son travail, Nour provoque l’incompréhension de son père qui est au courant de tout, et qui se tait au nom de la sauvegarde des emplois. Entre le père et sa fille, le fossé se creuse un peu plus chaque jour et Nour se retrouve vite devant un choix impossible : dénoncer l’entreprise, c’est mettre en péril l’emploi de son père et de tous les autres.
C’est un thriller écologique très intéressant et rondement mené que propose Farid Bentoumi avec « Rouge ». Le film est court, il n’y a pas de longueurs et surtout, on y reviendra, il bénéficie d’un scénario intelligent et complexe, ce qui n’est pas la moindre des qualités. Même si Farid Bentoumi peut user ici ou là de quelques « effets de manches » un peu usés, comme la musique qui devient de plus en plus forte au fur et à mesure que le plan large dévoile l’étendue du scandale (la scène du lac), tout cela relève du péché véniel. C’est proprement réalisé, le rythme est soutenu : le film fait 90 minutes et pourtant en 90 mn il y a beaucoup à expliquer beaucoup de problématiques à exposer, beaucoup de nuances à apporter. Le film part bille en tête et ne relâche pas pression jusqu’à la dernière image. Le long-métrage est porté par Zita Hanrot, qui fait très bien le job en faisant passer dans son regard dans ses attitudes, toute la difficulté morale dans laquelle son personnage se retrouve. A ses côté, l’impeccable Sami Bouajila est toujours aussi fin, aussi subtil, aussi sobre dans son interprétation. Ce qui est intéressant surtout, c’est que ces deux comédiens sont l‘incarnation de deux immigrations. La génération du père, qui a fait son chemin par le travail, en baissant le regard, en acceptant de se taire et de faire profil bas, et celle de sa fille, qui au contraire trouve légitime de se battre, de regarder dans les yeux et de tenir tête. Son statut de fille d’immigrée, elle l’a digéré, elle ne se pose plus cette problématique que se posait ses parents, elle est chez elle dans cette vallée alpine. Ces deux générations de l’immigration qui s’aiment profondément mais qui ne se comprenne pas toujours, loin s’en faut, ils sont parfaitement incarnés par le duo Bouajila/Henrot. A leur côtés, de seconds rôles qui ne sont pas là juste comme faire valoir : Céline Salette notamment. journaliste-militante, qui utilise Nour comme sa source et dont on se demande un bon moment si elle ne la manipule pas un tout petit peu sur les bords, dans le genre « La fin justifie les moyens ». Et puis on notera la participation d’Olivier Gourmet en patron, qui fait toujours impeccablement ce qu’on lui donne à faire même quand il n’a que quelques minutes ou quelques scènes pour s’exprimer. Mais aussi bons acteurs soient-ils, s’ils n’ont pas un scénario solide sur lequel s’appuyer cela ne sert pas à grand-chose. Et là, on est heureusement surpris par l’absence de manichéisme du film. Un thriller écolo que le scandale des boues rouges, sur le papier, ça sent les gentils écolos contre les méchants patrons pollueurs. Le film montre bien comme tout est imbriqué : la position de père de Nour est de loin la plus complexe. Il est délégué syndical, à priori la santé de ses collègues devait grandement le préoccuper. Et pourtant, ce type qui va coller des affiches pour le député vert du coin dissimule les accidents, ferme les yeux sur les visites médicales qu’on ne fait pas parce qu’il sait très bien que si l’usine est réellement contrôlée (et pas par une commission fantoche comme c’est le cas), elle fermera et laissera sur le carreau des centaines d’employés et leur famille qui ne retrouveront pas de boulot de sitôt. Pour lui, l’écologie c’est un luxe que le monde ouvrier ne peut s’offrir. C’est un discours que j’ai déjà entendu dans ma propre famille, et que je peux parfaitement comprendre. Les politiques, les employés, tout le monde a intérêt à ce que l’usine continue de tourner, et pour cela ils mettent leurs scrupules dans leur poche et leur mouchoir dessus. De l’autre côté, le militantisme écologique n’a pas non plus toujours le beau rôle. Emma, la journaliste, utilise Nour autant qu’elle peut sans réellement comprendre la situation impossible dans laquelle elle la met, ou alors elle minimise la situation, voire s’en désintéresse. Les autres, ceux qu’elle lui présente (Greenpeace ou quelque chose dans le genre) c’est encore pire, quand ils exigent d’elle qu’elle se mette physiquement en danger pour servir leur cause. Le film montre bien aussi que tout écolo qu’on est, on trouve toujours plus radical que soit : le petit ami d’Emma n’hésitant pas une seconde à franchir la ligne jaune de la légalité. Encore une fois, le côté « Le fin justifie les moyens et tans pis pour les conséquences » est mis en valeur de façon assez édifiante par le scénario. Dans cette histoire de pollution industrielle, tout est totalement imbriqué : scandale écologique, chômage de masse, crise économique, c’est un casse-tête chinois sans solution. Et cette imbrication de problématique se retrouve dans la famille de Nour, dont la sœur épouse le numéro 2 de l’usine, une usine qui fait vivre toute sa famille et lui a probablement permis de faire ses études médicales. « Rouge » est un film qui ne manque pas de qualités. Même si il n’a pas la puissance de « Dark Waters » (la thématique étant très similaire, impossible de ne pas y penser), si par moment il peut paraitre un petit peu timide (timoré diront les écolos convaincus, peut-être), il a le mérité de poser avec acuité un problème compliqué sans jamais édulcorer quoi que ce soit, sans jamais céder à la facilité ni aux raccourcis. Comme quoi on peut faire du cinéma qui est à la fois engagé et subtil.