/image%2F0902697%2F20210725%2Fob_9ef2ee_victor-kessler-n-a-pas-tout-dit.jpg)
Bertille, une jeune femme solitaire et modeste, très cabossée par la vie, n’a rien d’une journaliste ni d’une enquêtrice. Elle vit seule depuis son divorce, vit modestement en faisant des enquêtes de marketing à la caisse des supermarchés. C’est dans ce cadre qu’elle rencontre Victor Kessler, un vieux monsieur fragile qui fait un malaise devant elle. Elle l’accompagne à l’hôpital et hérite, par la force des choses, de ses affaires personnelles. Elle découvre alors que Victor Kessler sort de prison, une longue peine pour le meurtre d’un enfant dans les Vosges en 1973. Elle aussi est Vosgienne, et elle a quitté la région il y a bien longtemps pour des raisons douloureuses. Parce qu’elle n’a aucune responsabilité familiale, des tas de congés à poser et qu’elle est passionnée par cette histoire, qu’elle est plus ou moins convaincue que Kessler s’est laissé accuser d’un meurtre sordide alors qu’il est innocent, Bertille, loue une voiture et part pour l’Est de la France. Elle a crânement imprimé une fausse carte de journaliste avant de partir, elle compte bien lever les zones d’ombres de ce vieux fait divers.
Je ne savais à quoi m’attendre avec ce petit roman noir qu’on m’a offert il y a quelques mois. J’aimais bien le titre et en lisant la quatrième de couverture, je n’imaginais pas que je serais happée par cette intrigue à tiroir qui n’en finit pas nous surprendre, jusqu’à la dernière page, pour ne pas dire jusqu’à la dernière ligne. Une jeune femme, Bertille, qui retourne dans sa région creuser un vieux crime particulièrement sordide. Elle, si timide, un peu fauchée, sans amie, et surtout qui sort d’un drame intime abominable (elle a échappé de peu à la mort sous les coups de son ex-mari, un type complètement taré !), elle cherche un sens à sa vie. Elle s’attache à ce vieux fait divers, d’abord parce qu’elle est touchée par ce vieil homme qui a l’air encore plus désœuvrée qu’elle, mais aussi parce que tout s’est déroulé très près de son village d’origine, et elle a elle aussi des comptes personnels à régler avec les Vosges. L’enquête de Bertille est une vraie enquête de cold case, elle interroge les témoins qui sont encore disponibles, se noue d’amitié avec un gendarme, explore les pistes, se remet en cause, change de piste, etc… Son récit est entrecoupé des confessions de Victor Kessler, les deux récits viennent s’’imbriquer pour donne corps, lentement, à une vérité très éloignée de l’enquête de gendarmerie initiale, dont on comprend vite qu’elle a été expédiée et bâclée. L’affaire du petit Gregory, qui a eu lieu plus de 10 ans après le crime de 1973, parasite encore son enquête de 2019, on sent qu’elle a traumatisé les Vosges et que, dans ce contexte, toute remise en cause de celle de 1973 semble insupportable aux gendarmes, aux témoins, aux parties prenantes. Cela ne facilite pas son enquête, et je trouve malin de la part de Cathy Bonidan, l’auteure, d’avoir intégré un vrai fait divers (et quel fait divers !) comme « poison » de sa propre intrigue. Jusque dans les derniers chapitres on croit avoir touché la vérité du doigt mais non, elle nous échappe encore, et encore une fois, comme une savonnette ! Et puis, en parallèle, il y a aussi l’abcès personnel de Bertille à percer, celui de son enfance. Là, c’est pareil, au-delà d’une vérité évidente se cache un ultime rebondissement déchirant. Le style de Cathy Bonidan est fluide, agréable à lire et accessible. Mais c’est vraiment la construction de son intrigue qui fonctionne au-delà de ce que j’espérais. On ne perd jamais le fil d’une intrigue pourtant complexe, où derrière chaque découverte se cache de nouvelles questions, encore plus dérangeantes, encore plus douloureuses. L’ambiance des petits villages, où tout le monde se connait, où on épouse sa copine d’école et on reprend le boulot paternel, où on a un avis sur ce qui se passe chez le voisin, où surtout on se jalouse, on se juge, tout cela pose une ambiance assez venimeuse. On sent bien que ceux qui savent se taisent et que ceux qui ne savent rien parle ! La conclusion du roman, qu’il s’agisse de l’affaire Kessler ou bien celle de Bertille, rebondit jusqu’à la dernière page, sans jamais cesser d’être crédible. C’est un petit coup de cœur que « Victor Kessler n’a pas tout dit », et la découverte d’une nouvelle auteure à explorer : Cathy Bonidan.