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En 1977, le tout jeune psychiatre Maxime le Verrier voir débarquer dans son cabinet flambant neuf un patient pas comme les autres. Le dénommé Scherbius, pour peu que ce soit son véritable nom, est un usurpateur. Depuis l’âge de 16 ans il endosse les personnalités. Doté d’une intelligence très au dessus de la moyenne et d’un culot monstrueux, il s’improvise professeur, entraineur de football féminin, moine, huissier de justice, etc… Régulièrement, quand il sent qu’il est sur le point de voir son imposture démasquée, il change et devient quelqu’un d’autre. Le Verrier acquiert assez vite la certitude que son étrange patient souffre en plus d’un syndrome très rare, le Trouble de la Personnalité Multiple, ou TPM. Le mélange usurpateur / TPM est inédit, et entre Scherbius et Le Verrier s’engage un jeu du chat et de la souris qui durera plus de 20 ans.
Le roman d’Antoine Bello ne ressemble à rien de ce que j’ai déjà pu lire, même sous sa plume à lui. Encore que, cette façon qu’il a de tordre la réalité n’est pas sans rappeler parfois sa trilogie des « Falsificateurs ». « Sherbuis (et moi) », ce n’est pas un livre dans le livre mais six livres dans le livre. Chacune des six éditions du récit de Maxime le Verrier qui se succède est séparée par une page noire, une table des matières et tout le toutim. Nous lisons donc six livres successifs, chacun se nourrissant de son prédécesseur. Le style d’Antoine Bello, que j’aime beaucoup depuis longtemps, est un mélange d’érudition et d’humour. Visiblement très documenté sur la psychiatrie et ce trouble étrange qui fait cohabiter plusieurs personnalités dans un seul corps (et qui a fait les joies du cinéma américain), le roman est pourtant parfaitement inéligible pour un non initié. Beaucoup de notes de bas de pages, de références à l’actualité, tout cela donne à son roman un vrai gout d’essai médical. L’humour, quant à lui, vient essentiellement des péripéties géniales de cet usurpateur de génie. A côté de Scherbius, Franck Abagnale (« Catch me if you can ») fait petit bras ! La facilité avec laquelle il se coule dans une nouvelle personnalité impressionne, la naïveté des gens qu’il embobine amuse beaucoup, et on suit les aventures de Scherbius (au moins dans le premier livre) comme on lirait une aventure de Tintin ! Mais cet homme là n’est pas un saint, il est malade (peut-être…) mais il est surtout roublard, escroc, vénal et narcissique, et Maxime le Verrier aurait été bien inspiré de ne pas l’oublier ! Le roman joue en permanence sur l’ambigüité de la « maladie » de Scherbius, car plus on avance, moins on est sûr de le cerner et même son psychiatre, au fil des volumes de son récit, semble décontenancé par son patient, jusqu’à quasiment « lâcher l’affaire » ! Franchement, certaines des magouilles de Scherbius sont savoureuses, élaborées comme chez Alexandre Dumas ou Maurice Leblanc, elles démontrent presque plus son intelligence et son audace que son appât du gain ou de la célébrité. Et si on était juste devant un homme qui n’envisage son existence que dans la réussite de duperies toujours plus audacieuses, comme un défi permanent à lui-même, une sorte de narcissisme poussé à l’extrême ? Maxime le Verrier, et nous avec lui, n’arriveront jamais à comprendre l’incompréhensible et c’est peut-être très bien ainsi, le cas Scherbius est peut-être au-delà de la compréhension. En tous cas, de par sa forme originale et son récit rocambolesque, le roman d’Antoine Bello se lit avec facilité, gourmandise même. Scherbius est à la fois attachant et terriblement antipathique, on aimerait le rencontrer et en même temps ne jamais avoir à croiser son chemin, insaisissable de bout en bout et pour tout le monde, et peut-être même pour lui-même. Scherbius est le mystère fait homme, même (ou surtout) pour celui chargé de sonder son psychisme