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Un point c'est (pas) tout

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Le coin des livres : La Controverse de Valladolid

Publié par Christelle Point sur 5 Mars 2021, 15:44pm

Aux alentours de 1550, soit plus de 50 ans après le choc de civilisation que représente la découverte des Amériques par Colomb, l’Empereur espagnol Charles Quint convoque, dans un monastère de Valladolid, une controverse qui devra trancher un sujet devenu essentiel. Présidé par un représentant du Pape, cette controverse devra décider une fois pour toutes : les Indiens sont-ils des hommes libres ou bien des esclaves ? Bartolomé de Las Casas défendra la cause des indigènes, Juan Guines de Sepulveda défendra lui son livre, qui assène que les indiens sont des sous-hommes, des créatures à asservir. De l’issue de ce débat contradictoire dépend l’avenir des colonies espagnoles et le sort de toute une civilisation. Ce tout petit livre de Jean-Claude Carrière s’appuie sur une véritable controverse historique. Mais comme on ignore beaucoup de ce qui fut dit ou tu lors de cette joute, sous quelle que forme qu’elle ait eu lieu, le romancier s’autorise à l’imaginer. Et avec quel talent ! Et avec quelle acuité ! On est assez époustouflé devant la densité et la hauteur de vue de « La controverse de Valladolid ». A la fois roman historique, réflexion philosophique, essai théologique et œuvre de fiction, ce petit roman n’en demeure pas moins accessible au plus grand nombre. Bien sur, cela ne se lit pas comme un polar, il ne faut pas exagérer, le style est assez élégant mais parfois un peu exigeant aussi, c’est normal. Mais malgré tout on comprend tout des enjeux qui se jouent entre les deux orateurs. Bartolomé de la Casas connaît les indiens, il les côtoie, il assiste impuissant et révolté aux massacres, il admire aussi leur civilisation en train de disparaître et c’est sur cette violence insoutenable qu’il va appuyer son argumentation. Il s’est bien préparé, il a tous les arguments qu’il faut pour assurer le légat du pape que les indiens ont une âme, une intelligence, qu’ils sont les descendants d’Adam et Eve et doivent être respecté comme tels. En face, Sepulveda contre tout, avec des arguments parfois spécieux, des raccourcis, des facilités mais aussi parfois avec une vraie éloquence, une malice et une répartie qui force l’admiration, à défaut (bien-sur) de remporter notre adhésion de lecteur. Lui, comme les autres ne sont jamais allés là-bas, leurs arguments sont théoriques et théologiques, hors sols pour tout dire. Trois indiens sont là, à titre d’ « échantillon », et des expériences sont tentées : sont-ils capables de rire ? Sont-ils capables de violence ? Tout cela met assez mal à l’aise le lecteur et c’est probablement volontaire. Alors que la fin de la controverse s’annonce, arrive enfin le dilemme de fond, celui qui était sous-jacent depuis le début mais jamais évoqué clairement : comment faire fortune aux Amériques si les Indiens ne peuvent plus être réduits en esclavage ? La réponse est à la fois simple, cynique, terrible et parfaitement prévisible, elle clôture « La Controverse de Valladolid » comme un coup de poing, et nous laisse l’impression que cette controverse, finalement, tout le monde l’a perdu. A peine refermé, on se dit qu’il faudra qu’on le relise un jour, qu’il devrait être enseigné au lycée (mais il l’est sûrement), que l’on vient de lire un très bon livre, et que ça n’arrive pas souvent !

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