
Dans le Canada du XIXème siècle, un psychiatre aux idées modernes tente de déterminer si la jeune domestique Grace Marks est bien coupable du double meurtre crapuleux de son patron Thomas Kinnear et de sa gouvernante (et maîtresse) Nancy Montgomery. Grace a été reconnue coupable au même titre qu’un garçon d’écurie, James Mc Dermott. Mais si celui-ci a été pendu, Grace a vu sa peine commuée en réclusion a perpétuité au bénéfice de son jeune âge. Lorsque le psychiatre commence à converser avec Grace, elle lui raconte son enfance en Irlande, la tragique traversée de l’Atlantique puis a pauvreté de sa vie de domestique au Canada. Parviendra-t-il, au bout du compte, à déterminer si Grace est une redoutable manipulatrice, une jeune femme sous influence ou alors une psychotique ? Margaret Atwood s’attache, avec « Captive », à un véritable fait divers sanglant pour en tirer un roman dense et touffu, écrit avec élégance mais accessible et qui finit, au bout du compte, par nous passionner alors qu’au départ, au vu des premiers chapitres, ce n’était pas gagné. Lorsque le roman débute, Grace est déjà en prison et Mac Dermott déjà mort. Au fil des chapitres, elle raconte à Simon Jordan, avec force détails, toute sa courte vie pour en arriver au moment crucial du crime. Là, alors que sa mémoire était infaillible, elle ne se souvient plus et Jordan croit en une amnésie traumatique alors que tous voient en elle une manipulatrice qui refuse d’assumer son crime. Grace fait des rêves étranges aussi, que le psychiatre tente d’analyser et qui sont autant de clefs et de portes à ouvrir. Jordan a une approche très moderne et médicale de son métier, mais il est encore bien seul à mettre en pratique ces nouvelles idées et s’attache à Grace au-delà du raisonnable. Et puis, sa vie privée à lui est mouvementée et pas très glorieuse, au point qu’il semble presque sur le point de basculer lui aussi, dans le crime. Plus le roman avance, moins on arrive à déterminer si Grace est innocente, coupable ou dérangée (voire possédée, pourquoi pas?), et plus on voudrait la savoir innocente. Mais au-delà de son histoire, il y a la place des femmes d’un Canada victorien et puritain, la place des domestiques aussi et l’ébauche lente et difficile d’une nouvelle psychiatrie thérapeutique par la parole qui composent la trame du fond du roman. L’hypnose et la fascination pour l’occultisme viennent un peu brouiller les cartes d’une discipline en pleine révolution. Le style de Margaret Atwood est dense, le livre se perd parfois dans les détails, il change de style pour devenir subitement épistolaire, puis il revient au récit, puis redevient épistolaire, et il est même relativement long et peut paraître, surtout au début, peu facile d’accès. Et pourtant, il faut faire l’effort pour prendre du plaisir à découvrir (ou pas ?) si Grace Marks est autre chose que la diabolique perverse que la justice a jugé si vite et si durement. Mais « Captive » mérite qu’on fasse cet effort, assurément...