
Policier à Hambourg et futur père de famille, Patrick Stein est envoyé dans une petite ville industrielle en perdition de l’ex-Allemagne de l’Est. C’est une mesure disciplinaire pour ce policier de l’Ouest, a qui on chargé d’enquêter sur la disparition de deux adolescentes. On lui attribue un binôme issu de l’Est et au passé trouble, Markus Bach. Nous sommes dans une Allemagne à peine réunifiée, où règne la désillusion, le chômage et le désœuvrement, et l’enquête de Patrick et Markus, très vite, remue la boue des marécages de la région.
Sur le papier, d’emblée, ce film allemand m’a fait tiquer. Il s’agit du remake « germanisé » d’un polar espagnol multi (et justement) récompensée : « La Isla Minima » d’Alberto Rodriguez. Premier réflexe : pourquoi cette démarche ? N’est-on pas capable d’apprécier un film espagnol ? Fallait-il obligatoirement le « nationaliser » pour le rendre accessible au plus grand nombre ? Mais bon, je décide de lui laisser sa chance (devant la pauvreté de l’offre du moment) j’ai pris mon ticket pour l’ex Allemagne de l’Est, en me disant que j’allais faire l’effort de l’apprécier pour ce qu’il est, et de ne pas le comparer à l’original. Je l’avoue d’entrée, c’est un défi impossible : dés la toute première image (et ce n’est pas une métaphore, dés le premier plan !), on sent qu’on n’a pas à faire à une adaptation mais à une copie pure et simple. Sur le fond comme dans la forme, « Lands of Murders » est une redite, à tel point que cela en devient ridicule si on connait l’original. Sur la forme d’abord, le film espagnol était esthétiquement magnifique, le film allemand l’est aussi en utilisant les mêmes techniques : des plans aériens filmés par drones très travaillés, un décor marécageux poisseux comme il faut, une petite ville perdue et terrassée par la crise économique, une réalisation qui parvient très vite à créer une ambiance propice au film noir. « Lands of Murders » laisse un gout presque métallique en bouche, mélange savamment dosé de rouille industrielle et de sang. Le soin apporté aux décors (chapeau à celui qui a fait les repérages), aux plans aériens, agrémenté d’une musique un peu dissonante et pulsatile, tout cela donne au final un cocktail savoureux pour amateur de films noirs. Le film est un peu long, un peu plus de deux heures, mais l’intrigue est suffisamment solide, claire et le suspens est suffisamment bien dosé pour qu’on ne voit pas le temps passer. Pour ce qui est de la réalisation, le film fait mieux que tenir la route, il est la démonstration d’une belle maitrise du genre de la part de Christian Alvart. Il a à son service un duo, composé de Trystan Putter et Felix Kramer. Là encore, difficile de ne pas faire la comparaison avec Raul Arevalo et surtout avec Javier Gutierrez, qui impressionnait dans le film espagnol. Ici, force est de constater que les deux comédiens allemands font, l’un comme l’autre, un peu « mou du genou » à côté ! Ils ne déméritent pas mais manquent un peu de charisme dans un cas (Putter) et de profondeur dans l’autre (Kramer). Ce dernier soufre d’avoir un rôle, comment dire, un tout petit peu caricatural, sans doute pas assez torturé par son passé, un peu trop « brut de décoffrage ». Le duo est mal assorti, ce qui est la base du scénario, mais il a du mal à fonctionner sans que l’on sache très bien à qui la faute. Les seconds rôles sont nombreux, plutôt bien tenus mais trop discrets pour qu’on puisse en extraire quelques uns, à part peut-être la diaphane Nora Von Waldstatten, en mère éplorée et pétrie d’illusions perdues. Le scénario de « Lands of Murders » se résume à une intrigue policière crédible, parfaitement menée, passionnante comme un bon roman noir, avec ce qu’il faut de critique sociale, de détails glauques, de références politiques au passage. Si on cherche un très bon polar pour l’été, c’est un film parfait. Si on ne connait pas l’intrigue originale, j’imagine qu’on marche à fond dans l’histoire, on échafaude des théories, on est embarquées dans les fausses pistes, on est tenu en haleine jusqu’à la fin, et un peu tétanisé par la scène finale. Seulement voilà, « Lands of Murders » ne fonctionne que si on n’a pas vu ou qu’on a oublié « La Isla Minima », parce que le scénario colle tellement au scénario original, scène par scène, même plan par plan, que cela en devient surréaliste au bout d’un moment. J’imagine que Christian Alvart à pris le film espagnol et s’est dit « Ne changeons que ce qui doit absolument être changé pour faire « allemand », tout le reste on le garde ! ». Au début, c’est presque amusant, on a l’impression de jouer au jeu des 7 différences ! On remplace les marécages étouffants de l’Andalousie pour les marécages gelés de l’est de l’Allemagne, on enlève les portraits de Franco et de Pie XII aux murs pour les remplacer par des devises socialistes, On troque les grandes exploitations agricoles espagnoles exploitant la pauvreté pour une industrie allemande en perdition, on ne parle plus des palaces de Costa Brava mais d’hôtels de luxe berlinois, etc… En résumé, on remplace une démocratie balbutiante post franquiste qui refuse de purger sa police par une Allemagne réunifiée qui recycle les anciens flics de la STASI. L’idée qu’une dictature en vaut bien une autre du point de vue de la police et de la nécessaire « réconciliation nationale » vaut ce qu’elle vaut. D’un point de vue purement cinématographique, on reste quand même un peu décontenancée par ce manque quasi parfait de créativité. Et se repose donc dans ce contexte la question du « pourquoi » ? Quel est l’intérêt de refaire un film quasi identique, juste en en changeant le contexte ? Ne vaudrait-il pas faire mieux connaitre le film original plutôt que d’en faire une copie carbone ? On ne peut pas dire que « Lands of Murders » soit un mauvais film, loin de là. On passe un bon moment, c’est un polar léché, soigné, efficace, passionnant, crédible et même instructif. Et ceux qui iront le voir sans connaitre l’original pourront même l’adorer et le recommander, je peux parfaitement le comprendre. Mais à mes yeux, il est surtout l’illustration parfaite de l’adage qui veut qu’on préfère toujours, au bout du compte, l’original à la copie, aussi fidèle et soignée que soit la copie !