
Aux alentours de l’An 1000, les Vikings ont colonisés les Amériques, apportant avec eux le cheval le fer et quelques maladies (donc quelques anticorps). En 1492, Christophe Colomb débarque, ni lui ni ses marins ne reverrons l’Espagne. En 1531, poussés en avant par une guerre fratricide, l’empereur Inca Atahualpa profite des caravelles abandonnées pour traverser l’Océan, il débarque dans une Europe à feu et à sang, minée par des guerres de religions et par la misère. A force de patience, de machiavélisme et d’opportunisme, il deviendra le maitre du Vieux Continent. Laurent Binet, dont j’avais beaucoup apprécié « Rien ne se passe comme prévu » et « HHhH », s’attaque ici à un exercice très difficile et qui moi me fascine : l’uchronie. Réécrire l’Histoire, c’est déjà sacrément bien connaître d’emblée la vraie, et puis c’est laisser son imagination au travail, sans jamais se départir d’une réflexion globale et d’une hauteur de vue, ni se laisser emporter par la folie du challenge et verser dans l’improbable. Je dois dire que son roman est assez fascinant, et assez réussi. Il est découpé en 4 parties. La première décrit l’arrivée des Vikings au Nouveau Monde (ce qui est une réalité historique) sauf qu’ici, ils s’établissent durablement et mélangent leur culture, leur religion (et leur gênes) aux Américains. La seconde est le faux journal de Colomb, témoignage d’une expédition ratée face çà des autochtones bien moins impressionnés par le Nouveau monde (forcément, puisque dune certaine manière ils le connaissent déjà). La troisième partie, la plus importante, c’est l’invasion Inca en Europe et son long chemin vers le pouvoir quasi absolu, c’est la partie le plus forte, la plus fascinante car tout est mesuré, crédible, et très bien documenté. La quatrième partie est pour moi le point faible du roman, l’histoire d’un renégat espagnol et d’un grec adepte de la défense de la Chrétienté, qui connaitront quelques aventures funestes avant d’à leur tour, traverser l’Océan dans l’espoir d’une vie meilleure. C’est un monde tellement différent du nôtre qui ressort de l’exercice de Laurent Binet, parfois on se prend à regretter que cela ne soit que le fruit de son imagination tellement il est incroyable ! Dans la forme, si l’on excepte la quatrième partie qui manque de force et de pertinence et se termine un peu en queue de poisson, le style de Laurent Binet est assez savoureux. Il raconte sous la forme d’un faux livre d’Histoire, d’un faux journal de bord, d’un faux roman picaresque et surtout, il n’oublie pas l’humour. La position du Candide qui regarde un monde nouveau avec ironie et naïveté, soulignant par l’absurde ses contradictions, c’est vieux comme Montesquieu et ses « Lettres Persanes » ou Voltaire et son « Candide », mais c’est imparable. Fidèle au coté un peu décalé et déstructuré de ses romans précédents (en tous cas pour les deux que je connais), Laurent Binet se sort admirablement bien d’un pari super risqué et d’un exercice très difficile. Je conseille vivement ce roman qui ne ressemble à aucun autre car il est à la fois érudit, drôle, intriguant et il laisse une trace durable dans l’imaginaire du lecteur. N’ayez crainte, c’est érudit certes mais c’est intelligible par tous, savoureux à lire et parfois plein de malice !