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Un point c'est (pas) tout

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Blog sur tout ce qui rend la vie plus chouette...


Critique cinéma : Selfie

Publié par Christelle Point sur 19 Janvier 2020, 15:47pm

Un couple qui se lance dans une chaine Youtube pour soutenir son enfant malade et dont la chaine devient plus importante que leur fils, un jeune homme amoureux obsédé par ses notes sur une appli de rencontre, un cadre qui laisse les algorithmes gérer sa consommation et sa vie, une professeur de français qui s’amourache d’un comique sur twitter, une faille de sécurité qui menace de faire exploser les relations sociales de tout à chacun : le numérique est-il en train de tous nous rendre fous ?

« Selfie » renoue avec un mode devenue complètement désuète : le film à sketchs. Cinq histoires autour du numérique, réalisées par cinq réalisateurs différents, et qui s’entremêlent discrètement entre elles, voilà de quoi est composé ce film. Pas évident donc de porter un jugement sur ce qui s’avère être au final cinq courts métrages autour d’un thème unique. On peut néanmoins constater que l’ensemble est assez cohérent et qu’au final, il n’y a pas vraiment de sketches faibles et de sketches forts, tous explorant une facette différente du sujet. C’est donc un long métrage plutôt équilibré, bien rythmé et habilement construit. D’abord, il y a un fil rouge : l’histoire de ces deux parents qui montrent leur vie sur Youtube, au départ pour la bonne cause (scène d’ouverture) puis qui se laisse griser par le succès et le narcissisme, au point de négliger l’essentiel, à savoir leurs enfants. Ils reviennent ponctuellement entre deux histoires, et l’on suit par petites touches leur dérive, mi amusé, mi effaré, vers le point de non retour qu’ils sont bien les seuls à ne pas avoir vu venir. Et puis, l’autre qualité du film est d’avoir entremêlé les histoires en guise de transitions, certains personnages faisant des caméos dans l’histoire suivante sans jamais que cela soit gratuit. Considérant qu’il s’agit de cinq films plus ou moins superposés, avec cinq réalisateurs différents, c’est bien qu’il y ait une vraie ligne directrice qui donne du corps à l’ensemble, au-delà du sujet commun. Le casting est tout à fait réussi, de Blanche Gardin à Elsa Zylberstein, de Manu Payet à Finnegan Oldfield, tous composent des personnages évidemment outranciers (puisque nous sommes dans une comédie) mais avec une sincérité qui fonctionnent et qui ne les rend pas bêtement caricaturaux. Et puis il y a des rôles secondaires, tenus par exemple par Estéban, Thomas de Pourquery ou Marc Fraise, qui sont savoureux. Ils ne sont pas très exposés, leur rôle est comme une sorte de toile de fond, eux aussi servent à la transition entre les sketches, et c’est là encore une bonne idée. De ce casting pléthorique, on soulignera les bonnes performances de Finnegan Oldfield et Elsa Zylberstein, sans doute les deux compositions les plus réussies. Cette dernière a un potentiel comique mal exploité par le cinéma français et qui ne demande qu’à exploser en pleine lumière, elle est touchante et drôle en prof de français vieille fille à chat qui découvre Twitter : il faut interdire les portables en classe, y compris pour les profs ! Cinq courts métrages, donc cinq scénarii qui doivent tenir la route, autour d’un thème unique : le numérique et la place terrifiante qu’il prend dans nos vies. C’est comme une saison de « Black Mirror », en fait, mais sous forme de comédie. D’abord l’histoire de ces parents obnubilés par les « likes » de leur chaine YouTube (« Volg »), on peut la rapprocher celle de ce type qui focalise sur les notes des applis de rencontres (« 2.6/5 »). On peut penser que c’est très outrancier mais c’est déjà une sorte de réalité en Chine, sous une forme évidemment différente mais quand même…  Cette manie de tout noter tout le temps, les restos, les films, les commerçants, les spectacles, les endroits touristiques, les potentiels amoureux, qui peut dire que cela n’a pas envahit aussi les programmes de télévision (où on note les boulangeries les plats, les idées shopping, les gites, les réceptions de mariage…) ? Et qui peut dire que demain, on ne sera pas tous notés en fonction du nombre de fois où on a voté, du nombre de fois où on a pris les transports en commun au lieu de la voiture, en fonction du poids de nos poubelles ? Ne riez pas trop, on y viendra… L’histoire la plus attachante, c’est celle appelée « Le troll » avec cette amoureuse de la littérature qui s’amourache d’un comique un peu inculte, mais qui, et c’est la seule de tous les sketches à y parvenir, parvient à stopper sagement la machine juste à temps. Le sketch de Manu Payet « Recommandé pour vous » est le plus drôle au sens littéral du terme car peut-être le plus improbable. Accro à une enseigne de vente en ligne, il se soumet de façon si aveugle à ses algorithmes qu’il en perd complètement son libre arbitre Celui-là, il fait davantage rire, mais on y croit un peu moins. Et puis le dernier sketch « Smileaks », le bouquet final, absurde et explosif comme il se doit dans un film à sketches. Une faille de sécurité met à jour toutes les données numériques de tout le monde et cela fait exploser les relations sociales, amoureuses, familiales. Internet sait tout, puisque nous lui racontons tout, mais c’est censé être une oreille sans bouche, presque comme un psychiatre. Sauf que là, pas de déontologie, pas de secret : si on cherche à savoir, on trouve. Ce dernier sketch, encore plus que tous les autres, alerte sur les dangers des réseaux sociaux. Ce n’est pas la première fois que le cinéma fait cela, voir « Le Cercle » par exemple, et ce n’est pas parce que c’est fait sur le mode de la comédie que ça n’en n’est pas pertinent. Le film dans son ensemble gagne à être vu, c’est drôle, cohérent, parfois heureusement un peu caricatural mais ça devrait surtout être matière à réflexion. Disons que « Selfie » pourrait être une bonne entrée en matière pour une discussion en famille, entre amis, autour de cette problématique de l’invasion du numérique, avant qu’il ne soit trop tard. A moins qu’il soit déjà trop tard et que nous ayons tous déjà muté en « homo numericus »…

La bande annonce de "Selfie"

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