Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Un point c'est (pas) tout

Un point c'est (pas) tout

Blog sur tout ce qui rend la vie plus chouette...


Critique cinéma : J'Accuse

Publié par Christelle Point sur 17 Novembre 2019, 09:36am

Dans la cour de l’Ecole Militaire de Paris, le 5 janvier 1895, le Capitaine Alfred Dreyfus est dégradé au cour d’une cérémonie humiliante avant d’être exilé sur l’Ile du Diable. Il a été reconnu coupable de trahison au profit de l’Allemagne par le Conseil de Guerre. Un de ses accusateurs, le commandant Picquart, se voit récompensé de ses bons offices par une promotion, il prend la tête du service de renseignement des Armées. Consciencieux, Picquart ne tarde pas à découvrir qu’un militaire, le Commandant Esterhazy, livre des informations à l’ambassade d’Allemagne contre rétribution. Il comprend que c’est lui, le vrai traitre, et non Dreyfus. Mais sa hiérarchie, jusqu’au plus haut niveau de responsabilité, refuse de reconnaitre « l’erreur » et Picquart se voit à son tour discrédité. Il faut dire qu’Alfred Dreyfus est le coupable parfait pour l’Armée Française, il est juif, et il est né à Mulhouse, en Alsace. L’Armée et le pouvoir tiennent leur coupable, ils ne lâcheront pas le morceau, quoi qu’il leur en coute. Mais Picquart n’est pas homme à brader la Vérité.

C’est le premier grand film de cinéma que je vois sur l’Affaire Dreyfus, je ne suis même pas certaine qu’il en existe d’autres ! Il faut dire que le cinéma français est terriblement frileux avec sa propre histoire récente. C’est Roman Polanski qui s’y colle, 120 ans après cette affaire, ce scandale qui marquera (et polarisera) l’histoire politique de la France du XXème siècle. Il ne faut pas plus d’une scène, la scène d’ouverture, pour comprendre qu’on est installé devant un grand film. J’ai beau y penser ou y repenser, je ne vois pas quoi redire sur le travail de Polanski, qui de toute façon n’est pas le premier venu derrière une caméra. Son film dure 2h20, et il passe comme un éclair. On est même un peu déçu quand le générique de fin apparait à l’écran, on aurait bien pris un peu de rab ! La musique d’Alexandre Desplat est très bien utilisée, elle souligne le propos, elle n’empiète jamais sur l’image. La reconstitution de la France de la fin du XIXème siècle, que ce soit au niveau des décors et des costumes, m’est apparue comme soignée, pointue, sans esbroufe. Les flash back qui interviennent à deux ou trois reprises tombent bien, dure le temps qu’il faut, s’arrêtent quand il le faut. Surtout, en suivant un schéma somme toute chronologique, Polanski rend intelligible une histoire compliquée, celle des faux en écritures et des fausses preuves, qui sont l’alpha et l’oméga de cette affaire. Peut-être, si on chipote, on peut trouver un peu grandiloquent et peu original le passage où tour à tour, les protagonistes de l’Affaire découvrent leur nom, dans le célèbre et cinglant éditorial d’Emile Zola. Mais ce n’est vraiment pas grand-chose au regard de 2h20 parfaitement maitrisé. Je n’avais pas vu Polanski autant à son affaire depuis « The Ghost Writer » ou même « Le Pianiste ». Il y a du souffle dans « J’accuse», une vraie dynamique qui vous pousse en avant, qui pousse le spectateur à rester collé au film, quand bien même il connait l’histoire et le destin d’Alfred Dreyfus avant d’entrer dans la salle. Bien sur je pourrais évoquer Louis Garrel, formidable de sobriété en Dreyfus, humilié, diminué mais toujours combatif, mais il est malheureusement absent de 80% du film, et c’est bien normal puisqu’il est en exil. Evidemment, je pourrais souligner le casting 5 étoiles, qui s’offre le luxe de donner à des grands noms des rôles à la limite de la figuration : Laurent Stocker, Mathieu Amalric, Vincent Perez, Wladimir Yordanoff, Emmanuelle Seigner, Gregory Gadebois (mention spéciale pour lui car il est absolument formidable en colonel Henry), Denis Podalydès, Eric Ruf, Didier Sandre ou encore Melvil Poupaud. Mais on va parler de Jean Dujardin car c’est lui qui porte le film sur ses épaules. Je crois que c’est son plus grand rôle à ce jour, et il prouve ici encore une fois ce que je m’évertue à dire de lui depuis presque 10 ans, ce type peut tout jouer. Il compose un Colonel Picquart (il commence le film Commandant, puis Colonel, il le terminera Général) d’une droiture totale, opiniâtre, et en même temps bousculé dans ses certitudes, qui semble toujours sur le point de rompre, de céder, mais qui tient finalement bon, envers et contre tout. La bonne idée du scénario, c’est indéniablement d’avoir fait de Marie-Georges Picquart le fil conducteur de l’intrigue. Cet homme, militaire jusqu’au bout du képi, antisémite comme la quasi-totalité de la société française de l’époque, n’a pas moins que les autres l’envie que Dreyfus soit coupable, sa vie serait même plus facile si cela avait été le cas. Mais il aura placé l’Honneur avant toute autre chose, et il en paiera le prix. Pour avoir soulevé la question de l’innocence de Dreyfus, pour avoir renseigné Zola et Clémenceau, il sera lui aussi dégradé, emprisonné, calomnié. Mais mu par l’idée que les faits et la Vérité sont des éléments non négociables, il sera le premier Dreyfusard de l’Histoire. Ce film au-delà de l’aspect historique sur lequel je vais revenir, rend hommage à cet homme oublié et c’est déjà beaucoup. Le scénario insiste sur le caractère antisémite de la société française (et de son armée) de l’époque. Et le scénario a bien raison de le faire, parce que l’antisémitisme quasi hystérique qui infuse en France jusqu’à la Deuxième Guerre Mondiale est quelque chose que l’on a bien pudiquement oublié aujourd’hui. Le contexte historique de l’Affaire Dreyfus aurait peut-être pu être mieux exploité par le scénario. S’il faut trouver une petite lacune dans « J’Accuse », à mes yeux, ce sera celle-ci. La défaite contre l’Allemagne en 1870, la perte de la Moselle et de l’Alsace (Dreyfus est né à Mulhouse, c’est important de le savoir si on veut comprendre l’Affaire dans sa globalité), le climat militariste et nationaliste qui imprègne tout, à l’école, dans les journaux, à l’Assemblée Nationale, on veut la Revanche sur l’ennemi allemand, on ne pense qu’à cela ! Avec l’Affaire Dreyfus, c’est le déshonneur de l’Armée qui se joue et en 1900, l’Armée c’est le centre de tout ! L’Affaire Dreyfus polarisera la société française comme jamais depuis la Révolution. Pendant tout le XXème siècle, au moins qu’à la Libération, la Gauche et la Droite de définiront d’abord comme Dreyfusarde ou antidreyfusarde. Le scénario appuie sur l’antisémitisme ambiant, il oublie un peu les autres éléments de contexte, c’est dommage. Mais on ne va pas bouder le cours d’Histoire assez magistral que nous offre Roman Polanski. Son film est remarquablement maîtrisé, remarquablement incarné, remarquablement scénarisé : on comprend tout d’une affaire pourtant fort nébuleuse, et on comprend surtout ses enjeux politiques et moraux. « J’accuse » est un film remarquable, et, à ce titre, il mérite amplement le déplacement.

La bande annonce de "J'Accuse"

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article

Archives

Nous sommes sociaux !

Articles récents