
Gabriel et Ariane se rencontrent dans un musée du Havre, devant une toile d’un peintre français exilé en Argentine. Ils ne le savent pas encore mais ils ont beaucoup en commun. Lui est un réfugié argentin, il s’est exilé en France après l’arrestation et la disparition de sa fiancée Véronique. Depuis, il est artisan sur la côte normande et rêve toutes les nuits de Véro, s’imaginant que peut-être, elle est encore vivante quelque part, sans toutefois y croire réellement. Ariane est épouse de diplomate, lorsque son mari était en poste à Buenos Aires, ils ont adopté une petite orpheline qui a aujourd’hui 20 ans. Lorsqu’elle découvre en classant des papiers que sa fille n’était peut-être pas orpheline, mais avait sans doute été volée par les militaires de la junte et « vendue » à son mari, Ariane bascule. Avec Gabriel ils entreprennent un voyage en Argentine, elle veut savoir qui était les vrais parents de sa fille adoptive Clara, lui retrouve un pays qui lui a tout volé et qu’il n’avait jamais revu. Ce voyage sera un choc pour les deux amoureux, ce qu’ils vont découvrir là-bas va bouleverser leurs vies et leurs certitudes. 20 après la fin de la Dictature argentine, celle-ci tue encore. Le roman de Frédéric Couderc est terriblement documenté et nous fait entrer dans l’Histoire avec un grand H, celle des bébés volés de la Dictature, celle des anciens tortionnaires de l’OAS et anciens collaborateurs de Vichy qui ont trouvé à se « recycler » avec la Junte Militaire, celle des Grands-mères de la Place de Mai, qui remuent le Ciel, la Terre et tout le reste pour que justice soit faite, celle d’une Argentine de la fin des années 90 où les tortionnaires n’ont jamais été jugés (comme en Espagne, comme au Chili) et ont trouvé à se recaser facilement dans l’administration. C’est un roman bouleversant, et surtout le chapitre 21, le seul qui se déroule en 1977 et qui fait parler la douce Véronique à la première personne. Le sujet des bébés volés par la Dictature a déjà été traité mais le rôle des vieux fachos français dans toute cette horreur l’avait été beaucoup moins, et pour cause. Le personnage de Constant, père de Véronique, ancien de l’Algérie Française, qui apporte la toute petite touche « polar » au roman, est tellement ambigu que jamais, malgré sa tentative de rédemption, on ne lui concédera le chagrin d’avoir perdu sa fille victime de ses « amis ». Après une fin parfaite de pudeur et de réalisme, on referme le roman de Frédéric Couderc le cœur serré. Toutes les dictatures du monde contemporain ont volé des bébés, bien peu ont répondu de leurs actes ignobles, quasiment tous les assassins sont morts de leur belle mort dans leur lit à un âge respectable. La lecture de la postface, avec l’histoire véritable de ce pilote naturalisé néerlandais, est hallucinante ! Jusqu’où peut-on jouer le jeu de la Réconciliation Nationale (comme elle a été faite en Afrique du Sud après l’Apartheid), Gabriel se pose longuement la question dans le livre, après l’avoir terminé, nous nous la posons aussi.