
La couverture n’est vraiment pas sexy, le titre ne fait pas envie et même la quatrième de couverture laisse entrevoir un polar rural conventionnel, non vraiment, « Hôtel du Grand Cerf » n’a pas un emballage très vendeur. Et pourtant, quel polar étonnant, quels personnages truculent, quel humour noir efficace ! Franz Bartelt, que je découvre à cette occasion, est un auteur qui a le sens du récit et qui aime les personnages bien croqués, bien dessinés. Reugny, à la frontière franco-belge (côté belge) c’est un village où il y a 40 ans, une actrice a été retrouvée morte sur un tournage, noyée dans sa baignoire. Un journaliste parisien, qui prépare un documentaire sur l’actrice, débarque dans les Ardennes belge pour mener refaire l’enquête. Dans le même temps, un ancien douanier unanimement détesté est retrouvé mort, et une jeune femme à disparu. L’inspecteur Kulbertus a été chargé de l’enquête, et Kulbertus est un flic fort peu conventionnel. A 15 jour de sa retraite, obèse, quasi handicapé, capable d’engloutir des montagnes de nourriture, brusque avec les témoins, sans gène dans ses méthodes, il secoue le village de Reugny pour découvrir coûte que coûte la vérité, si laide fut-elle. Etrangement, les deux enquêtes, qui n’ont rien en commun, vont se nouer. Découpée en chapitre très courts, l’intrigue se joue sur quelques jours. Même si elle est un petit peu complexe, on ne perd jamais le fil grâce à un nombre de personnage restreint (nous sommes dans un petit village) et à un rythme constant. Bartelt sait mener un récit sans faire de « gras » (contrairement à son personnage central !), sans faire de digressions inutiles, à chaque fois qu’il donne une piste, un détail, un rien du tout, c’est toujours au service d’un intrigue bien resserrée, bien compacte. Les personnages et leur personnalités bien tranchées, c’est le sel de ce roman, aucun n’est fait d’eau tiède, tous sont entiers, parlent sans filtres et semblent fort loin du politiquement correct urbain. Par le personnage de Vertigo Kulbertus (quel nom !), un flic comme je n’en avais encore jamais vu dans un polar, l’auteur injecte des doses constantes et acides d’un humour noir qui fait mouche, parfois presque surréaliste. L’intrigue nous emmènera plus loin que l’on ne l’a imaginé, à l’époque de la guerre, de la collaboration et de l’épuration, à l’époque des secrets d e familles bien honteux, des haines cuites et recuites. Sans aller jusqu’à dire que tout est crédible, notamment les méthodes du centre de séminaire qui fait vivre tout le village (où l’on traite des stagiaire comme dans « Full Metal Jacket », ou presque !), le roman tient parfaitement la route jusqu’à un fin cynique, qui met un petit peu à mal la morale, pas beaucoup, juste ce qu’il faut. « Hôtel du Grand Cerf » est un très bon roman policier, drôle et acerbe, qui se dévore comme Kuvertus dévore ses assiettes de frites et englouti ses litres de bières (sans mousse) : sans aucune modération !