
Quand j’ai lu, il y a quelques années déjà « Au revoir là-haut », je ne savais pas que Pierre Lemaitre compter lui donner une suite. Sept ans après la mort de son fils, c’est au tour de Marcel Pericourt de succomber. Le jour de ses funérailles, devant le tout Paris, son petit fils Paul âgé de 7 ans (le fils de Madeleine et de l’infâme Pradelle) de défenestre. Il survit, mais demeure paraplégique. Cette tragédie incompréhensible va faire vaciller la fragile Madeleine qui, seule héritière de la banque Péricourt, va se révéler une proie pour tous les profiteurs qui l’entourent. Son oncle Charles, député affairiste et vénal, son amant André, qui se fait entretenir jusqu’à lancer sa carrière de journaliste, et Gustave, le fondé de pouvoir de la banque, qui comptait bien épouser l’héritière. Lorsque Madeleine refuse, il semble bien prendre la chose mais en réalité, il la dupe avec une facilité confondante. Mal conseillée, manipulée, Madeleine va connaitre la ruine et le déclassement, dans cette France de l’entre deux-guerre minée par la crise économique de 1929, et tentée par le fascisme. Alors qu’on la croit éliminée du jeu, Madeleine va découvrir dans l’épreuve une force de caractère, une dureté qu’elle ne soupçonnait pas. Usant de procédés intelligents, risqués et même franchement immoraux, elle entreprend de se venger de tous ceux qui l’ont fait souffrir. Comme « Au revoir là-haut », « Couleurs de l’incendie » est l’histoire d’une vengeance. Moins flamboyante et cynique que la première, celle de Madeleine sera multiple, faisant chuter l’un pour faire vaciller l’autre, elle prendra le temps qu’il faut, paiera le prix qu’il faut pour que les coupables de ses malheurs soient châtiés, non par elle mais par le système, par la justice, par la vindicte populaire. Le roman de Pierre Lemaitre se lit, ou plutôt se dévore avec une vraie gourmandise. Le style fluide, presque complice de l’auteur (qui encore une fois nous parle directement), la petite pointe d’humour, la façon qu’il a de croquer des personnages avec une vraie tendresse et une vraie profondeur, son intrigue claire malgré le nombre de personnage et parfois la complexité des sujets évoqués (placements bancaires, technologie…), tout est totalement maitrisé. On retrouve le vrai plaisir de « Au revoir là –haut », même en l’absence d’Edouard et d’Albert. Madeleine, qui n’avait qu’un rôle secondaire dans le premier tome, trouve ici une réelle épaisseur de femme fragile et forte, douce et cinglante, toute en complexité et en nuance. Autour d’elle, si l’on excepte Paul et sa passion dévorante pour l’Opéra, les hommes sont souvent plus monolithiques, souvent mués seulement par leur ambition et leur vénalité, ils peuvent paraitre un tout petit peu caricaturaux. La France de 1927 à 1936, c’est la France affairiste qui se laisse tenter par l’antiparlementarisme, qui se laisse un peu emporter par le fascisme italien et la tentation nationaliste allemande. Lorsque Pierre Lemaitre fait parler les hommes politiques de l’époque, on croit entendre les hommes politiques de 2018, mêmes arguments, mêmes vociférations, mêmes revendications économiques, mêmes tentations nationalistes. Sur le moment, c’est amusant et puis, après, on y repense et là, ça devient bien plus angoissant. « Couleurs de l’incendie » enfonce magistralement le clou d’ « Au revoir là-haut » et pose définitivement Pierre Lemaitre dans le paysage littéraire français. Dans le polar ou dans le roman, Lemaitre est en train d’en devenir un !