
De Josef Mengele avant et pendant la guerre, on sait quasiment tout. De Josef Mengele après la guerre, on sait peu de choses et on a beaucoup phantasmé sur la question. Son parcours de fugitif a même inspiré deux films à Hollywood (« Marathon man » et « Ces garçons qui venaient du Brésil ») S’il est aujourd’hui établi qu’il est mort noyé au Brésil en 1979, pendant plus de 30 ans on a rien su ou presque de sa lui, de son train de vie, de sa vie professionnelle en Amérique du Sud, de ses protections familiales ou politiques. C’est sur cette trame qu’Olivier Guez a décidé de mettre son talent d’écrivain à l’œuvre. C’est un roman à la lisière du livre historique et de l’enquête journalistique, et l’on suit la destiné de l’Ange de la Mort d’Auschwitz de son débarquement du bateau à Buenos Aires qu’à l’exhumation de son cadavre pour des expertises ADN dans les années 90. L’Argentine de Perón lui laisse entrevoir une relative protection, il retrouve d’anciens nazi et d’anciens collabos, vit chichement mais garde en lui, comme il le fera jusqu’à son dernier souffle, son idéologie mortifère chevillée au corps. Mais toutes les choses ont une fin et la fin du péronisme le pousse au Paraguay, puis au Brésil. Il refait sa vie, connait des périodes presque heureuses mais fugaces. Le destin le rattrape, son passé le rattrape (à défaut de le hanter), les chasseurs de nazis le traquent, il devient parano, doit se cacher, doit mentir, il va inexorablement tout perdre jusqu’à une fin minable, indigne de la très haute idée qu’il se fait de lui, de son intelligence et de son « œuvre ». C’est que le Mengele décrit par Guez ne renie rien, ne nie rien, revendique tout, le justifie encore et toujours avec la même force, le même fanatisme. Cette obstination aveugle, fanatique, comme si la notion de morale lui était parfaitement étrangère fait de lui un personnage de roman presque incroyable, au sens littéral du terme, et pourtant… Au vu de la bibliographie en fin d’ouvrage, il est clair qu’Olivier Guez a beaucoup cherché et que son Mengele doit ressembler de façon troublante au vrai. Le style de Guez est très facile à lire tout en étant assez élégant, c’est fluide, accessible, exigeant sans être ampoulé, c’est un petit livre passionnant qui mérite le prix Renaudot qui lui a été attribué l’année dernière. Les rappels historiques qui parsèment son roman, sur Auschwitz, sur le travail de Simon Wiesenthal, le procès Eichmann, le travail de Mossad sont autant de points de repère pour comprendre ce que fut le destin de ce médecin maudit pour l’éternité. Ce qui est advenu de ses restes après exhumation prouve que le « destin » à un sens de l’humour plein d’ironie. Et en refermant le livre on se dit que cet immonde personnage, pour lequel au n’aura jamais eu le début d’une ébauche de pitié, n’a pas volé ce qui lui n est finalement arrivé !