
En 1518, Strasbourg est au plus mal : des intempéries inouïes, des récoltes anéanties, suivi d’un été caniculaire mettent la cité dans une situation terrible. En 1518 Strasbourg souffre, la Peste Noire n’est pas si loin, la suette, la syphilis, la dysenterie décime la population. En 1518, Strasbourg a peur d’une invasion turque qu’on ne voit jamais mais que tout le monde pense imminente. Surtout, en 1518, Strasbourg a faim, tellement faim qu’elle mange du papier, de la terre, du bois, et parfois même les enfants qu’elle ne peut plus nourrir. Une jeune femme, qui vient de jeter dans l’Ill un bébé qu’elle est incapable de nourrir (au moins elle ne l’a pas bouffé) se met à danser dans la rue sans raison, et sans s’arrêter. Des voisins commencent à l’imiter et bientôt, c’est plusieurs milliers de strasbourgeois qui dansent frénétiquement sans raison, sans jamais s’arrêter, jusqu’à tomber mort sur place. Pendant que le maire s’arrache les cheveux pour essayer d’endiguer ce que les médecins ne peuvent expliquer, l’évêque de Strasbourg, enfermé dans son avarice et ses certitudes, spécule sur le prix des denrées alimentaires qu’il cache dans ses greniers. Jean Teulé nous offre un livre assez court mais truculent sur un fait historique avéré mais mal connu et surtout jamais expliqué. Il décrit, avec le verbe cru qui fait son charme, les horreurs d’une situation extrême sans jamais donner une explication médicale ou psychiatrique définitive. Cette danse frénétique, née d’un désespoir intense, sert de terreau à la naissance et à la diffusion des idées de Martin Luther, qui envahiront l’Europe à une vitesse vertigineuse. L’Eglise Catholique, incarnée ici par le Prince Evêque, creuse sa propre tombe en se comportant de façon ignominieuse, drapé dans ses certitudes et vendant (cher) des indulgences comme seule solution à la crise qui secoue la ville. En se comportant ainsi, elle justifie et même provoque l’adhésion de la Ville aux idées toutes neuves du Protestantisme. Mais au-delà ce cela, c’est l’histoire d’une épidémie de désespoir qui secoue une ville jusque là prospère, et qui se caractérise de façon étrange, par une danse frénétique que rien n’arrête. Le roman est, comme toujours, très documenté, il romance une histoire bien réelle que la grande Histoire avait pudiquement oublié, il décrit par le menu ce que représente la vie dans une ville-République en début du XVIème siècle. Surtout, il met en scène un pouvoir politique dépassé et un pouvoir spirituel en complète décadence, et en cela, l’épatant « Entrez dans la danse » est un roman drôle, édifiant, peut-être un peu trop court mais assurément moderne !