
La séparation de Myriam et Antoine se passe mal, terriblement mal et c’est dans le bureau de la juge pour enfant que toute la complexité de la situation s’expose. Elle le décrit comme un tyran, violent et manipulateur, lui se défend et demande juste à pouvoir garder le contact avec ses enfants, qui semblent avoir pris le parti de leur mère. Deux discours antagonistes, visiblement l’un des deux (ou les deux ?) mentent. Le temps d’y voir clair, la juge accorde un droit de visite à Antoine sur leur jeune fils Julien, 11 ans. Dés la première visite, la véritable nature d’Antoine se fait jour…
« Jusqu’à la garde » est un premier film et franchement, si on ne le sait pas, rien ne pourrait le laisser deviner tant sur la forme, le long-métrage est maîtrisé. Xavier Legrand propose un film aussi étonnant qu’il est efficace, un film qui commence comme un documentaire sur la justice, avec une très longue scène dans le bureau d’un juge, et qui se termine comme un thriller. Entre ces deux extrêmes, une montée en puissance de la tension, lente mais inexorable, qui est tellement efficace sur le spectateur que, plus on avance dans le film, plus on pourrait toucher du doigt l’angoisse qui prends corps, au fil des minutes et des scènes qui s’enchainent. Pour obtenir ce formidable résultat, Xavier Legrand dépouille son film de toute musique, laissant tous les bruits devenir au mieux angoissants, au pire terrifiants : le biiiip d’une voiture qui réclame qu’on mette sa ceinture de sécurité, une sonnette qui s’actionne encore et encore, le bruit étouffé d’un ascenseur qui monte les étages, tout finit par nous mettre à cran ! Il faut dire qu’en plus de ces petites trouvailles sonores, Legrand n’hésite pas à faire durer les scènes, faire durer les silences jusqu’au malaise, il nous laisse penser que quelque chose va arriver, on attend, on attend et… non ! Jusqu’à ce que ce quelque chose arrive, pas forcément comme on l’avait imaginé. Si on ajoute à cela des belles idées de mise en scènes comme la scène dans les toilettes du lycée, filmée au niveau des pieds, sans dialogue, uniquement avec des bruits et pourtant parfaitement claire et réussie (même si elle n’est pas très utile au scénario, j’y reviendrai), ce jeune réalisateur prouve en 90 minutes ce que d’autres mettent une carrière à réaliser ! Une telle maîtrise, pour un premier film, c’est bluffant. Même le titre, magnifiquement à double sens, et l’affiche, terriblement ambigüe, semblent avoir été pensés avec soin. Sur cette affiche, la mère regarde son fils, de dos, avec un regard assez inexpressif pour qu’on puisse y deviner tout et son contraire. Lui en revanche ne regarde qu’elle, comme si elle lui appartenait et que c’était plus important, presque, que son fils. Cette affiche prend tout son sens au fil des minutes qui passent où l’on voit cet homme, visiblement déjà bien borderline, sombrer lentement après le départ de sa femme. Ce scénario est terrible parce qu’il est d’une crédibilité totale, affreusement banale même. Il est difficile de parler du scénario sans trop en dire, et d’évoquer la personnalité d’Antoine sans dévoiler l’intrigue. Sauf qu’il suffit de quelques scènes pour comprendre que cette homme là est capable de tout : sans (presque) jamais élever la voix, sans (presque) jamais avoir de geste violent, son regard, ses silences, ses paroles, la façon qu’il a de manipuler son fils, de le terrifier pour obtenir des réponses laisse présager le pire. Doucement, l’étendu de sa « folie » se fait jour et l’on se dit que même si dans un couple qui se sépare il n’y a jamais de « bons » et de « méchant », cet homme là ne veux pas « juste » garder le contact avec son fils. Sa fille a presque 18 ans, son pouvoir sur elle s’est étiolé, mais sur Julien, 11 ans, tout est encore facile, il suffit de savoir comment s’y prendre. La scène emblématique à mes yeux, c’est celle du repas chez ses parents à lui qui part en vrille à cause d’une parole innocente : en deux minutes, on a compris que même ses parents ne maîtrisent pas cet homme qui est leur fils ; et si eux ne le peuvent pas, personne ne le peux. La scène finale, qui fait monter la tension nerveuse à des niveaux rarement atteint par le cinéma français, et qui nous laisse abasourdi sur notre siège de cinéma une fois la lumière rallumée, est parfaitement maîtrisée dans sa longueur, elle est amenée comme il faut, encore une fois par une longue plage de silence bien flippant. J’ajoute, au risque de déflorer un tout petit peu l’intrigue, que l’attitude de la Police (calme, méthodique, organisée) tranche tellement avec la tension à l’écran que cela donne une scène presque schizophrène, ce qui ajoute à la force de cette fin interminable, dans le bon sens du terme. Il y a juste quelque chose qui me gène dans le scénario de « Jusqu’à la garde », c’est cette scène dans les toilettes du lycée : parfaitement maitrisée dans la forme, elle tombe à l’eau sur le fond puisqu’elle ouvre une intrigue secondaire un peu malvenue et par la suite totalement inexploitée ! Du coup, on se demande bien ce qu’elle est censé amener au film… Ce genre de film doit beaucoup à son casting généralement, car il est difficile de jouer un rôle comme celui d’Antoine. C’est Denis Ménochet qui s’y colle et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il réussit son coup. Cet acteur, habitué des seconds rôles et souvent « faire valoir de la vedette » trouve ici un rôle à sa taille, et le film lui doit beaucoup : avec une sobriété totale qui ajoute à la folie de son personnage, il incarne un homme bien plus dangereux qu’il n’en a l’air. Léa Drucker et Thomas Gioria sont également parfait, eux aussi dans des rôles difficiles, notamment Thomas Gioria qui doit donner corps à un gamin de 11 ans terrifié et devenu malgré lui l’incarnation d’un couple en mille morceaux. En résumé, « Jusqu’à la garde » est un film totalement maîtrisé, d’une crédibilité totale et qui met en lumière la folie ordinaire, celle du voisin, du collègue, du fils, du mari, celle qui se dissimule peut-être en chacun de nous et qui n’attend qu’une étincelle pour s’enflammer chez quelques uns.