
Jordan Belfort est courtier, et il a quatre passion : le sexe, le pouvoir, la défonce et surtout : le fric. Engranger le plus de fric possible, jusqu’à l’indécence, jusqu’à l’absurde, en usant de toutes les méthodes que le capitalisme sauvage met à sa portée, peu importe s’il doit frauder, arnaquer, ruiner, mentir ou tricher. Défoncé quasiment en permanence, le cynisme en bandoulière et les scrupules aux abonnés absents, Jordan va conquérir Wall Street, séduire les plus belles, monter les coups boursiers les plus lucratifs. Lorsque forcément la FBI s’intéresse à lui, il tremble à peine, il est si puissant, il est invincible : prendre le FBI de haut est sa première erreur.
Avec « Le Loup de Wall Street », Martin Scorsese nous livre un pamphlet qui a la redoutable particularité de raconter une histoire vraie. Lorsque l’on sort du film, on a peine à croire que ce qu’on vient de voir n’est pas sorti tout droit du cerveau d’un scénariste sous acide ! Et pourtant, En 2h59, Scorsese dresse le tableau hideux d’un capitalisme sans foi ni loi. 2h59 d’excès, de dialogues surréalistes et improbables de cynisme et de vulgarité, une charge terrible contre un système qui a amené le Monde au bord de gouffre et a ruiné des millions de personnes. 2h59, c’est long sur le papier. J’ai déjà vu des films de 1h30 qui paraissait durer le double et bien ici, et en grande partie grâce au talent de Martin Scorsese et à celui de Léonardo DiCaprio, les 3h de film passent comme une lettre à la poste ! Travelling de fou, ralentis hyper réussis, Scorsese ne baisse jamais de rythme en enchainant les scènes quasi cultes comme un collier de perle. Même lorsqu’elles sont excessives, quasi hystériques mêmes, les scènes ont la durée qu’il faut, la force qu’il faut. La bande originale est intéressante, pleine de chansons connues et réinterprétées, elle est pensée comme une bande originale en décalée, les chansons ne semblent pas coller à l’ambiance de la scène, à plusieurs reprises même elles sont « à contretemps », elle la désamorce. Je ne m’attendais pas à autant d’humour non plus, un humour un peu bizarre, on rit souvent jaune devant « Le Loup de Wall Street » mais force est de reconnaitre qu’on rit quand même pas mal, un peu nerveusement, certes… Entouré de seconds rôles très écrits, et très bien mis en valeur (Jonah Hill, Margot Robbie ou encore Kyle Chandler) et très bien interprétés, Léonardo est de toutes les scènes, ou presque. Sur 3 heures de film, il doit être absent de l’écran tout au plus 10 minutes ! Depuis le temps, on sait que DiCaprio peut tout jouer, de Gasby Le Magnifique à Howard Hawks, de J. Edgard Hoover au « Revenant » mais dans « Le Loup de Wall Street », il laisse exploser son talent et surtout il flirte avec ses limites. Dans certaines scènes il est tellement dans l’excès que ça en devient fascinant, on est à maintes reprises à quelques encablures du grotesque, du cartoon, mais on ne franchit jamais cette limite, même si on flirte avec de bout en bout. La scène (interminable) de la paralysie, suivie de celle du fil du téléphone elle-même suivi de celle de l’étouffement sont à la fois surréalistes, dramatiques et quoi qu’on en dise, cocasse de part leur excès. Là où il est diablement fort, le Léo, c’est que même quand il incarne un type odieux, menteur, défoncé, sans scrupules, sans morale, voleur, tricheur, parfaitement infréquentable, et bien il arrive à nous le rendre presque sympathique ! On ne déteste jamais vraiment ce Jordan Belfort qui le mérite 1000 fois pourtant, et Léonardo, son jeu, sa force, son charisme en est l’unique raison ! C’est très fort et je ne crois pas qu’ils soient très nombreux, dans le cinéma mondial, à pouvoir réussir ce type de performance. Le scénario, même s’il manie des notions qui nous sont quasi étrangères en terme de courtage et autres entourloupes boursières, est suffisamment clair pour ne jamais nous perdre en route. Construit un peu comme une spirale, il met en scène un homme qui commence petit pour devenir de plus en plus gros de plus en plus vite et qui sera aspiré, inévitablement, vers le fond du siphon. « Le Loup de Wall Street » est un réquisitoire comme l’était « Margin Call » par exemple. Mais là où "Margin Call" était didactique, sec et même psychanalytique, « Le Loup de Wall Street » est son parfait opposé dans la forme mais sur le fond il démontre la même chose, avec la même force et la même cruauté : deux méthodes, une seule démonstration. Le cynisme est le même, sauf qu’ici les costards cravate prennent de la cocaïne (entre autre) et baisent à tout va, mais au fond ce sont les même. Cet amour de l’argent au-delà de toute mesure met évidemment mal à l’aise mais surtout il interroge : qu’est ce qui se passe dans la tête d’un type pour aimer le fric au-delà de toute mesure, qu’est ce que ça compense, qu’est ce que cela symbolise ? C’est peut-être la seule chose qui manque à ce film, un semblant d’explication psychiatrique ! Parce que disons là tout net, ce Jordan Belfort est très dérangé, fascinant, manipulateur, brillant dans son genre mais carrément dérangé ! Et si il ne l’était pas au départ, de toute façon il le serait devenu avec toute la drogue qu’il sniffe, qu’il ingère, qu’il avale en permanence. Le film est à l’image de son « héros », barré et grandiloquent. Sans le talent de Martin Scorsese et de Léonardo DiCaprio cela aurait tourné à la mascarade mais grâce à eux, cela tourne à la farce géniale et caustique, à la démonstration par l’absurde. Pas de doute, « le Loup de Wall Street » est un film qu’on peut difficilement oublier, il en met plein les yeux, plein les oreilles et il imprime la marque de capitalisme sauvage et sans morale dans le cortex des spectateurs : une sorte de grande baffe qui vous fait tourner la tête longtemps et que vous gardez en mémoire pour un bon moment !