
Mae vivote en bossant pour le service recouvrement d’un service d’eau, un job où (ô surprise) elle ne s’épanouit pas et qui ne lui permet pas de vivre décemment. Le jour où son amie Annie lui obtient un entretien d’embauche pour commencer en bas de l’échelle dans la plus grande entreprise du net, elle saute sur l’occasion. Cette entreprise, The Circle, est une sorte de mélange entre Facebook, Google et Apple, un géant monopolistique du net, tellement géant que son pouvoir sur la toile devient un problème démocratique. Mais Mae n’a pas encore pris conscience du dérapage vers lequel Circle se dirige, elle ne pense qu’à progresser et à faire du bon travail, en mettant un mouchoir sur ses scrupules. Se faisant, elle s’engage dans la politique de plus en plus intrusive de l’entreprise, ne semblant pas voir les clignotants « danger » qui clignotent à tout bout de champs sur son parcours, jusqu’à participer activement à un projet terrifiant, aux conséquences dramatiques.
On ne peut pas dire que « The Circle » ne pose pas de bonnes questions, même s’il les pose de façon un peu maladroite parfois, et même s’il se garde bien d’y apporter une réponse définitive. Le puissance monopolistique des géants du net que nous utilisons tous, et moi la première à l’instant précis où je poste cette chronique sur le web, pose des questions aigües de droit, de morale et de bon sens. « The Circle », même s’il forcit un peu le trait et va au bout d’une logique quasi-totalitaire (dans la quelle ne nous sommes pas (encore) embarqués), fait la démonstration assez limpide de ce que pourrait être une société connectée à outrance et sans garde-fous. James Ponsoldt, le réalisateur, concentre sa caméra sur Emma Watson et son personnage, négligeant un petit peu les autres personnages qui auraient pourtant bien mérités plus de lumière. C’est le premier petit défaut que je concède à son film, ses seconds rôles (tenus quand même par Tom Hanks, John Boyega ou encore Karen Gillian) ne sont pas assez écrits alors qu’il y aurait plein de choses à apprendre sur leur mentalité, leur parcours, leurs motivations. Mais Emma Watson et son joli minois emporte le film avec elle. Très attachante, même quand son personnage se fourvoie carrément, Emma Watson confirme qu’elle est actrice réfléchie, discrète mais pointue dans ses choix cinématographiques, qui ne cède pas à la facilité des blockbusters de super héros Marvell qui envahissent (j’allais écrire « infestent ») les grands écrans. C’est une actrice que j’apprécie de plus en plus, à l’écran et en dehors. La réalisation de James Ponsoldt n’est pas flamboyante, son film est plutôt efficacement réalisé, sans temps morts, sans (trop) de scènes superflues. Les scènes de tensions sont peut –être un petit peu trop soulignées par des effets inutiles et une musique trop fortes, mais c’est un travers que peu de réalisateur arrivent à contourner ! La musique d’ailleurs, électronique comme il se doit, est plutôt agréable, bien qu’un peu trop présente et trop puissante à mon gout. Le film, qui dure presque deux heures, passe assez bien et même si sa trame est assez conventionnelle, on ne s’ennuis pas. La trame est conventionnelle parce que c’est au travers d’une jeune recrue que le dérapage de Circle se matérialise : au début, elle est enthousiaste, parfois déroutée (et il y a de quoi) par certains aspect de l’entreprise mais trop fascinée pour réagir. Pleine de bonnes idées, elle progresse vite (très vite, trop vite pour que cela soit crédible ?) et se met à participer activement, sans arrière pensées, au projet fou de Circle, jusqu’à même faire en réunions des propositions surréalistes qu’on pourrait qualifier sans trop forcer le trait de … totalitaires, et tout cela avec la meilleur intention du monde. Comme certains géant du Net le font déjà, Circle présente chacune de ses avancées technologique comme un bienfait pour l’humanité : surveiller la santé des gens en permanence avec un bracelet connecté, c’est bien sur pour éviter qu’ils ne développent des maladies ; mettre des caméra minuscules partout, c’est bien entendu pour empêcher que l’information ne soit censurée par une dictature ; connecter le monde entier, c’est évidemment pour retrouver des criminels fugitifs ; permettre le vote politique par le moyen d’un compte personnel Circle, c’est carrément pour faire revivre la démocratie ; implanter des puces sur les enfants, c’est forcément pour éviter les kidnappings, etc… Mais l’enfer est pavé de ces bonnes idées altruistes et soi-disant désintéressées. Le scénario force un peu le trait, en espérant faire une démonstration limpide des effets pervers inouïs qui nous menacent : fichage médical, fichage politique, annihilation totale de la vie privée, tyrannie de la transparence : mis au pas d’une société mondialisée où tout le monde surveille tout le monde, tout le monde traque tout le monde, tout le monde juge tout le monde et seuls quelques uns ont en main les données de milliards d’êtres humains. La technologie, c’est formidable quand c’est aux mains de gens responsables, avec une morale et un sens civique moyennement développé. Dans des mains avides de pouvoir, d’argent (les deux vont ensemble) et sans morale ni scrupule, cela devient un péril. Comme la démocratie porte en son sein sa propre autodestruction, la technologie porte en elle sa propre perversité. J’enfonce une porte bien ouverte en disant cela, et le film de John Ponsoldt ne fait que cela aussi : enfoncer une porte ouverte. Je ne sais pas si le scénario est d’une crédibilité totale, traitez-moi de naïve mais je pense qu’on a, en tant que société et en tant qu’individu, une capacité de résistance assez puissante au totalitarisme technologique, et encore pas mal de garde-fous légaux à notre service. « The Circle » peut éventuellement aider à une prise de conscience pour un jeune public ultra connecté qui n’aurait pas encore le recul nécessaire pour comprendre les dangers inhérents aux réseaux sociaux. Ma foi, si le film de Ponsoldt sert à cela, c’est déjà pas mal. En tant que spectatrice, je regrette juste quelques petits choses : une fin elliptique un peu bizarre, quelques invraisemblances (au niveau du personnage de Mae et de sa progression notamment), quelques rebondissements déjà vus au cinéma, quelques petites choses un peu téléphonées. Je regrette aussi d’avoir vu un Bill Paxton dans son dernier rôle au cinéma, très diminué et méconnaissable, à tel point que je ne l’ai reconnu qu’en lisant son nom dans le générique de fin !
Qu’ai-je fais en quittant la salle de cinéma ? J’ai repris mon Smartphone pour vérifier mon fil Facebook, j’ai partagé une vidéo et j’ai consulté les horaires de tram à la recherche d’une (hypothétique) correspondance. Du coup, il y a quelqu’un quelque part qui savait que j’étais dans tel cinéma, que je prenais le tram pour rentrer chez moi, à présent il sait ce que j’ai vu au cinéma et grâce à la vidéo que j’ai partagé sur Facebook, il sait que j’aime bien Daft Punk. Voilà, moi aussi, comme vous, comme tout le monde, j’ai déjà le doigt dans l’engrenage…