
Alors le voilà, le grand film sur les évènements de Dunkerque que j’attendais depuis des semaines. Je suis allée le voir pleine d’espoir mais aussi avec dans un coin de ma tête une légère appréhension. Les deux derniers films de Christopher Nolan que j’avais vu, « Inception » et « Interstellar » m’avaient, au niveau du scénario, plutôt déçue. Je commençais à penser que Nolan était peut-être un poil surcoté en tant que réalisateur. Après « Dunkerque », je reconnais sans mégotter que Nolan est un grand, un très grand du cinéma actuel.
En guise de pitch, quelques éléments de contexte historique. Fin mai 1940, 400 000 soldats britanniques et quelques milliers de soldats français de retrouvent subitement pris en tenaille dans le nord de la France et acculés par les allemands sur la plage de Dunkerque. C’est une déroute militaire indéniable pour les alliés, et le seul espoir à court terme est d’évacuer tout ce petit monde vers l’Angleterre. Soucieuse de préserver sa flotte en prévision de la bataille d’Angleterre qui se profile, la Royal Navy rechigne à aller chercher les soldats. Si Hitler décide de noyer les plages de Dunkerque sous un tapis de bombe, la guerre est perdue, l’invasion de la Grande Bretagne inévitable. L’opération Dynamo est lancée, elle consiste à évacuer 400 000 soldats à l’aide de tout ce qui flotte et qui porte pavillon britannique, dans une eau infestée de U-Boot et sous le feu des Stukas. « Dunkerque », c’est l’illustration dans les airs, sur l’eau et sur le sable de l’opération Dynamo.
Le réalisateur britannique Christopher Nolan vient de révolutionner le genre du film de guerre, tout simplement. Je crois qu’il n’est pas éxagéré de dire qu’il y aura dorénavant un « avant » et un « après » « Dunkerque » dans le genre. 1h45 de grand cinéma, où de la première scène à la toute dernière, tout est parfait visuellement. Chaque plan de « Dunkerque » est soigné, la caméra est toujours à l’endroit qu’il faut, chaque traveling est pertinent, chaque plan est réfléchi. C’est presque une leçon de cinéma que donne Nolan avec « Dunkerque » où tout est calibré, où chaque scène à sa raison d’être, à le ton qui convient, à la durée qu’il faut. La musique de Hans Zimmer est (et ce n’était pas le cas avec « Intertellar ») parfaitement utilisée. Elle est omniprésente mais ne parasite jamais une image, elle accompagne la tension sans jamais la surjouer et du surcroit, elle est tellement réussie que je me suis surprise à penser que j’allais devoir écouter le CD le Bande Originale fissa ! J’ai beau chercher, je ne trouve rien à redire au travail de Nolan sur « Dunkerque », le film dure 1h45 mais la tension ne retombe jamais, grâce à un montage très resserré et très malin, grâce aussi à un casting d’acteurs assez peu connus. Le fait de se passer de star (à l’exception de Tom Hardy et de Kenneth Branagh) pour faire incarner de simples soldats par des comédiens assez peu connus est LA meilleure idée possible. C’est la guerre « a hauteur d’homme » qui est filmée, où il n’est pas question d’héroïsme échevelé et d’exploits solitaires, à l’exception de Tom Hardy dans son cockpit peut être (mais il y a aussi des héros ordinaires dans les situations extraordinaires). Cela rend « Dunkerque » assez éprouvant, puisqu’il n’est pas question de combattre ou de vaincre mais seulement de sauver sa peau, ce qui est un combat qui parlera à tout le monde. Je veux quand même citer la brochette d’acteurs formidables qui donnent corps avec beaucoup de conviction et de sobriété aux soldats de sa Majesté : Fionn Whitehead, Harry Stiles, Aneurin Barnard, Mark Rylance ou encore Jack Lowden, tous formidables, tous dans le ton qu’il faut, tous remarquables. Le scénario de « Dunkerque » est très malin. Loin de relater de façon linéaire les évènements de l’opération Dynamo, Nolan a choisi, comme a son habitude, de distordre le temps. Les scènes aériennes se déroulent sur une heure de temps, les scènes de mer sur une journée et les scènes sur le sable français sur une semaine. Je reconnais avoir mis un peu de temps à comprendre cette astuce mais quand j’ai compris que tout cela allait se rejoindre dans une scène finale d’une intensité totale, j’ai trouvé ce scénario et son montage tout simplement génial. Il y a quelques chose de désespérant à voir ses soldats embarquer dans la douleur puis se faire couler pour revenir échouer sur la plage, pour réembarquer pour être de nouveau torpillé et revenir sur la sable. Le désespoir qui se lit dans leurs yeux prend aux tripes. D’ailleurs Nolan joue beaucoup avec les regards, il filme souvent les yeux des témoins au lieu (ou juste avant) des évènements, là encore c’est très fort. « Dunkerque » rend bien compte de l’impression de déroute qui mine ce début de guerre, cette ambiance de presque « fin d’un monde » qui palpite sur ces plages interminables de la Mer du Nord, les rancœurs de l’infanterie envers la marine, envers la RAF, la sourde hostilité pour les soldats français qui se battent encore dans les rues (sur ce coup là, les alliés l’étaient bien peu). Même si Nolan aurait pu donner un peu plus de détails sur le contexte et les enjeux de l’opération Dynamo, l’ambiance de peur mêlée à la honte est tout à fait palpable. Beaucoup de scènes sont difficiles, quelque unes sont éprouvantes et une en particulier est à la limite du supportable (celle du gasoil) mais c’est la guerre dans toute son horrible réalité qui est filmée, comme Spielberg l’avait fait avec « Il faut sauver le soldat Ryan », et c’est le meilleur compliment que je peux faire au film de Nolan. En chipotant, je pourrais reprocher au scénario de Nolan de ne pas beaucoup évoquer les soldats français qui se sont sacrifiés pour permettre l’évacuation. Le seul soldat français qui apparait dans l’intrigue n’est pas présenté sous le meilleur angle possible (le quasi déserteur), ce qui est quand même un peu dur. Mais le plus honnêtement du monde, « Dunkerque » mérite 100 fois le déplacement, mérite amplement le succès qui est le sien. Même si l’on n’aime pas particulièrement le film de guerre, on aimera « Dunkerque » si on aime le cinéma.
Je l’avais écrit en parlant de « Churchill », sans les évènements de Dunkerque, pas de Débarquement, pas de guerre du désert, pas de bataille de Normandie, pas de bataille des Ardennes, pas de Victoire sur le front de l’Ouest. Il est batailles que l’on gagne et des batailles que l’on ne perd pas : Dunkerque et son opération Dynamo méritait bien un beau film de cinéma : il hérite d’un des meilleurs films de 2017 !