Il y a une règle d’or quand on veut, même modestement comme je le fais, critiquer un film : avant, on va voir les films et on ne s’autorise à en parler qu’une fois la séance terminée. On paye sa place, on se déplace et, après, on en parle en bien ou en mal. On ne qualifie pas un film de navet au seul vu de la bande annonce, ou parce qu’on se sent morveux. C’est exactement ce qu’à fait un responsable politique très connu au vu de la bande annonce du dernier film de Lucas Belvaux « Chez Nous ». Ce faisant, il lui a fait une publicité inespérée et je le remercie ici de m’avoir donné envie de voir ce film. « Chez nous » n’est pas du tout un navet, bien au contraire ! Il se trouve que j’ai le droit de le dire, puisque moi, je l’ai vu !
Pauline est infirmière à domicile dans une petite ville du Pas de Calais. Attentionnée, disponible et plutôt jolie, elle connait tout le monde et tout le monde l’apprécie. Elle serait parfaite pour être tête de liste aux municipales pour le « Bloc patriotique », le parti dirigé par Agnès Dorgelle. Pauline présente bien, elle incarne parfaitement la respectabilité que recherche le parti. Contactée par un médecin qu’elle connait bien, ancien député européen, elle finit par se laisser convaincre, charmée par la rhétorique et la personnalité affable de Dorgelle. Tout pourrait rouler comme sur des roulettes jusqu’à l’élection, mais il y a un grain de sable : Stéphane Stankowiak. Son amour de jeunesse qu’elle retrouve. Il est charmeur, visiblement amoureux, et Pauline ne sait rien de son passé de skinhead et de ses activités clandestines auprès des identitaires. Le Bloc patriotique le connait bien en revanche, et réciproquement…
« Quand on mange à la table du diable, il faut une grande cuillère », ce proverbe sied parfaitement au film de Lucas Belvaux. Les films sur l’extrême droite française contemporaine sont rares, je me souviens ne pas avoir pu voir « Un français » de Diastème au cinéma puisqu’il avait été déprogrammé d’un grand nombre de salles sous la pression de ceux qui devaient se sentir visés. Je l’ai vu en DVD après et je le conseille vivement, au passage… Le film de Lucas Belvaux, en revanche, on peut le voir dans beaucoup de salle et ce serait dommage de s’en priver car c’est un film réussi, intelligent, bien scénarisé, bien interprété et qui appuie là où ça fait mal, pour peu qu’on veuille appuyer évidemment. Techniquement il n’y a rien à redire, sinon à la marge. Son film est dense, il y a des scènes fortes, certaines mêmes assez violentes (mais sans complaisance et sans en faire trop) d’autres moins mais je n’ai pas ressenti le moindre trou d’air dans son long métrage, je ne me suis pas ennuyée une seule seconde, de la première image jusqu’à la dernière scène. Il arrête son film exactement sur la scène qu’il faut (scène très importante et très forte), son film est aboutit, carré, maîtrisé. Emilie Dequenne incarne Pauline, elle est immédiatement attachante et le restera, même quand elle tiendra un discours « limite », même quand elle en viendra à utiliser elle aussi ces éléments de langages si éculés (mais tellement efficace dans le genre « prêt-à-penser » !), même quand elle se fourvoiera auprès de gens peu fréquentables. Le film lui doit beaucoup, grâce à elle et à la façon dont elle donne corps à cette mère célibataire passionnée par son métier et humaniste, le film ne deviendra jamais manichéen. Guillaume Gouix, apporte beaucoup à « Chez Nous » et de la même manière : il est charmant (craquant même) et il est vénéneux. Ce type, qui commet des horreurs avec ses copains identitaires flamands, qui a fait le salut nazi dans sa jeunesse, qui a un passé (et un présent) sulfureux qui pourrait lui valoir de la prison bien méritée, il ne sera jamais aux yeux du spectateur entièrement détestable. Guillaume Gouix est un acteur discret mais qu’on commence à voir dans des premiers rôles et qui ira loin s’il continue à suivre cette voie, il a beaucoup de talent. Dussolier et Jacob sont très bien aussi, le premier parait respectable mais il ne faudrait pas trop gratter pour trouver de la merde, la seconde à parfaitement intégré la gestuelle et la rhétorique de celle qu’elle représente. Oui parce que c’est un film à clef mais les clefs ne sont pas très difficiles identifier : on comprend tout de suite et sans aucune ambigüité qui est qui, c’est sans doute aussi pour ça que certains l’ont qualifié de navet sans l’avoir vu. Ils ont du se sentir visés, en quoi ils n’ont pas eu tort. « Chez Nous » n’est pas un film militant, c’est un film engagé (et c’est le droit absolu des cinéastes de faire, s’ils le veulent, des films engagés !) : il est moins manichéen que certains voudraient le faire croire. Il est là pour dépeindre sans fard une réalité cynique, la réalité d’un parti en quête de respectabilité qui enrôle des têtes de listes comme on fait un casting, qui dispense des leçons pour « bien faire campagne » (la scène est courte mais elle est très percutante), qui n’a pas peur de cracher sur les élites dans les discours mais qui compte sur les énarques de ses rangs pour gouverner en sous-mains, un parti au passé sulfureux qui n’a pas changé sur le fond, mais seulement sur la forme. « Chez Nous » met la lumière sur les contradictions de l’extrême droite française de 2017. Ce n’est pas difficile, il suffit de regarder un tout petit peu : les discours se contredisent, les actes contreviennent aux discours, mais pour ça il faut avoir envie de regarder. « Chez Nous » met en scène deux jeunes femmes du même âge, de la même condition et qui semblent suivre un parcours similaire : Pauline qui devient tête de liste alors qu’elle n’a pas, au fond, les convictions du « Bloc Patriotique », et son amie Nathalie. Ce personnage est intéressant, professeur, elle a toujours eu en elle ces idées extrêmes et elle les exprime enfin, elle s’en libère comme si elle s’était autocensurée aux yeux de tous pendant des années, y compris aux yeux de ses proches. Il y en a combien, des Nathalie décomplexées aujourd’hui, sur Facebook et ailleurs ? On aurait presque eu envie que le film s’appesantisse un petit peu plus sur elle, tant il y aurait eu des choses à dire. Belvaux distille aussi, tout au long de « Chez Nous » une petite musique de fond qui pose une atmosphère, c’est BFM que papa écoute en boucle et qui distille le peur du terrorisme, c’est Zemmour qu’on entend sur RTL en conduisant, c’est Patrick Sébastien qui chante un « truc » (parce que je m’en voudrais de qualifier ça de chanson !) bien vulgaire et démago. C’est là, en arrière fond, tout au long du film, ce n’est jamais exploité comme tel mais c’est là, ça pose une atmosphère, comme un parfum dans l’air, un peu faisandé, un peu rance mais qu’on ne sent plus parce qu’on y a été habitué. Même si on peut trouver que c’est fait sans subtilité, c’est une réalité, il suffit de renifler un peu. Mais evidemment encore faut-il avoir envie de renifler… Allez voir « Chez Nous » n’est pas un acte militant, c’est aller voir un bon film intelligent et pertinent comme le cinéma français n’en produit pas (assez) souvent.
Un signe ne trompe pas, sur « Allociné » le film de Lucas Belvaux à un nombre surréaliste de critiques exécrables. Un tel déferlement est assez rare, même pour les très mauvais films. Cela prouve que les petites mains appliquées de la fachosphère sont à l’œuvre, et qu’elles ont bien appris leur leçon.
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