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Avec « Rue des voleurs », Mathias Enard nous fait endosser à la première personne et pendant 350 pages hautes en couleur la vie de Lakhdar, jeune marocain de Tanger chassé par ses parents à peine sorti de l’adolescent (il a côtoyé une cousine d’un peu trop près) et qui promènera tant bien que mal son destin de Tanger à Barcelone, enchainant les petits boulots, côtoyant le meilleur et le pire de ses contemporains marocains, français, espagnols. La mort colle à la peau de ce jeune homme intelligent, amoureux des livres, qui ne se départit presque jamais de son humour comme d’une carapace contre les mauvaises surprises de la vie. « Rue des voleurs », c’est l’envers du décor de l’immigration qui fait couler tant d’encre à tort et à travers : nous voilà dans la peau d’un jeune garçon à priori intelligent et sympathique, qui fera des choix, bons ou discutables, qui fera confiance et parfois trahira, qui aimera ses amis, ses livres (un garçon dont le rêve ultime est d’ouvrir une petite librairie et de pouvoir lire toute la journée ne peut être antipathique !), sa douce espagnole Judit. Le livre peut se découper en deux gros morceaux, la première partie à Tanger où Lakhdar se cherche, et cherche surtout à survivre. Il côtoiera un moment un mouvement islamiste inquiétant, plus par reconnaissance (ce sont les seuls à lui donner un abri et un petit boulot alors qu’il est à la rue), beaucoup par amitié pour son ami d’enfance Bassam et par suivisme, en pleine période faste des « Printemps arabes ». La seconde partie de son récit se situe en Espagne, à Almería puis à Barcelone, sans papier, dans une certaine clandestinité toute relative. Lakhdar suit son chemin chaotique avec une certaine philosophie, portant un regard assez acéré sur son pays, sur le terrorisme, sur le mirage du Printemps Arabe marocain, sur la crise économique espagnole, sur la vie politique ibérique et française (certains passages sont particulièrement pertinents). Le style est soigné mais pas précieux ni ampoulé, il y a des passages crus (mais jamais vulgaires), des passages drôles (mais jamais dénué d’une certaine désespérance), certains moments difficiles, douloureux (mais jamais crapoteux), des digressions littéraires parfois un peu longues mais qui prouve que Mathias Enard, professeur d’Arabe à l’Université de Barcelone, sait de quoi il parle et en parle avec passion. Ce roman a une grande qualité, celle de nous faire entrer dans la peau d’un jeune arabe de sexe masculin immigré clandestin et de comprendre à travers lui bien plus de choses que dans toutes les études sociologiques sur le monde arabo-musulmans, sur l’immigration et l’islamisme. Peut-être tout le monde n’aura pas envie d’endosser la peau de Lakhdar, d’arpenter avec lui les rues de Tanger, d’immigrer (presque par hasard) en Espagne, de squatter un minuscule appartement dans les bas-fonds de Barcelone, ce n’est pas une lecture légère ou facile, qui permet de rêver ou de s’évader. Mais ceux qui feront le voyage ne regretteront pas. La fin est en revanche un peu abrupte, un peu mystérieuse, pose plus de questions qu’elle n’apporte de réponses et ne me semble pas tout à fait à la hauteur d’un roman d’une qualité incontestable.