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La sortie en salle d’un film de Steven Spielberg, quand on aime le cinéma, c’est toujours un petit événement. Et quand, en plus, on retrouve les frères Cohen au scénario et Tom Hanks dans le rôle titre, çà devient un évènement incontournable que, bien évidemment, je n’ai pas contourné !
New-York, 1957, le FBI arrête un espion russe dénommé Rudolph Abel. Puisqu’il n’arrive pas à le retourner, il faut bien se résigner à le juger et à le faire condamner. Le département d’Etat insiste pour qu’un avocat lui soit dévolu et qu’il ait un procès équitable, du moins en apparence. C’est Jim Donovan qui hérite de cette lourde mission : défendre un espion russe dans un procès joué d’avance et devant une opinion publique hyper hostile. Mais Jim est un avocat très conscient de sa mission et, contre toute attente, il sauve la tête d’Abel. Lorsque qu’un pilote-espion américain est abattu par les soviétique au dessus de leur espace aérien, et jugé et condamné lui aussi, la CIA demande à Donovan d’aller seul (ou presque) à Berlin-Est négocier un échange. C’est déjà très compliqué en soi mais un jeune étudiant américain de 25 ans est lui aussi capturé du mauvais côté du mur, par la RDA. Obtenir sa libération à lui aussi va devenir l’objectif de Donovan, et dans cette partie de billard à trois bandes, il va lui falloir jouer serré !
Bon, ben Spielberg c’est Spielberg quoi… Je ne vois pas vraiment ce que je pourrais trouver à redire à sa réalisation, au montage, à la photographie, à l’utilisation de la musique. Spielberg est un surdoué qui, depuis « Duel », n’a jamais cessé de peaufiner son travail et de faire des choix audacieux, alors du point de vue de la forme « Le pont des espions » est hyper maitrisé, très produit, très soigné. Le montage est intelligent et les transitions bien pensées, bien amenées, bien réfléchies. La musique (qui n’est pas de John Williams, pour une fois) n’est pas envahissante, le suspens est là où il doit être sans être très appuyé quand ce n’est pas nécessaire. La photographie est différente suivant qu’on se trouve en Amérique (couleurs plus marquées, grain de l’image plus fin, climat plus tempéré) ou en RDA (couleurs éteintes, grain de l’image plus grossier, climat hostile). Ce n’est peut-être pas très subtil, certes, mais çà pose une atmosphère, une sorte de dualité qui fonctionne. Il n’y a pas de scènes qui durent trop, de scènes superflues, de trous d’air dans son film qui dure quand même 2h20, avec des petites pointes d’humour discrètes qui allègent l’atmosphère quand celle-ci devient trop pesante. Il y a une scène spectaculaire aussi, très impressionnante , celle de l’avion espion abattu en plein vol et qui se désagrège et tombe en morceau depuis une altitude inouïe : une petite scène d’anthologie presque ! Tout cela, je le répète, est très soigné et efficace, pas révolutionnaire ni transcendant mais ça colle avec son sujet et moi, ça me convient : quand je vais voir un film de Spielberg, je sais ce que j’en attends et de ce point de vue : pas de déception. Point de vue casting non plus pas de déception : Tom Hanks est un acteur majeur qui n’a plus grand-chose à prouver à personne mais qui, dans le rôle de Jim Donovan, fait passer discrètement et à sa façon une humanité certaine et très palpable. Autour de lui, des seconds rôles peut-être un peu écrasés par son charisme, comme celui tenu par Sebastian Koch (dont on ne saura jamais vraiment qui il est et quel sont ses accointances), par Scott Shepperd, un habitué des seconds rôles ou Amy Ryan dont le rôle d’épouse aurait peut-être mérité un peu plus d’éclairage. Mais j’ajoute quand même une petite mention spéciale à Mark Rylance, assez épatant de flegme dans le rôle d’un espion soviétique imperturbable, mais non sans humour. Le scénario des frères Cohen est très cohérent, basé sur des évènements historiques mal connus (et pour cause), complexes, voir même très complexes par moment mais on comprend tout. Tout le premier tiers du « Pont des espions » relève de ce qu’on appelle le « court movie » (=le film de procès), un genre assez répandu et qui a donné lieu à quelques très grands films. On y voit un Jim Donovan piégé par une Amérique schizophrène (parce que terrifiée par la menace atomique) : on insiste pour qu’il défende proprement un espion soviétique mais dans le même temps, on lui fait comprendre que le procès est biaisé et qu’une condamnation est nécessaire, au-delà du droit. Lui, pétri de ses certitudes, ne comprends pas bien (ou feint de ne pas comprendre) cette schizophrénie et défend son client, avec qui il sympathise même franchement. Cette droiture dans le respect du droit impressionne et pose question au spectateur que nous sommes, et à l’époque où nous sommes, sur la façon dont un pays doit ou ne doit pas traiter ses ennemis. Je défie quiconque verra « Le pont des espions » de ne pas s’interroger sur cette question terriblement d’actualité, ce qui pose le film de Spielberg dans une modernité certaine, malgré son sujet. Les deux autres tiers du « Pont des espions » relèvent là davantage du film d’espionnage classique : un jeu d’influence dans l’ambiance feutrée des ambassades, des conversations lourdes de double sens, une sorte de poker menteur entre trois pays : les USA qui veulent récupérer un pilote avant qu’il ne soit retourné (mais peut-être l’est il déjà ?), l’URSS qui veut récupérer son espion sans savoir s’il a été retourné et la RDA, toute jeune nation qui cherche à s’affirmer et qui marchande un étudiant de 24 ans. C’est compliqué, personne ne dit jamais ce qu’il pense ou ce qu’il compte faire, et Jim Donovan prends des risques, y compris des risques pour sa propre personne, en tractant de tous les cotés. Et puis il y a le Mur, en construction dans une scène assez courte mais terriblement efficace (oui, le mur a quasiment poussé en une nuit, et des immeubles ont été coupés en deux, des familles séparées en quelques heures par le fait du hasard, tout cela est exact), ou le Mur que l’on tente de passer et au pied duquel on meurt. Très vite, ce Mur devient un personnage à part entière du film de Spielberg. On aurait pu craindre une vision manichéiste très américaine de cette histoire d’échange d’espion mais c’est plus subtil que cela : il y a les soviétiques et les allemands de l’Est, et ils ne sont pas un bloc homogène, au contraire, leur objectifs sont différents et même antagonistes sur certains points. Et même le personnage d’Abel, espion soviétique certes, mais attachant, qui par sa force mentale force le respect, y compris chez ses ennemis. La Guerre Froide est terminée, pas de doute, quand on voit un film comme « Le pont des espions » ou une série TV comme « The Americans », on ne peut pas en douter. Si je devais trouver quelque chose à redire au nouveau Spielberg, je dirais qu’il respire l’académisme, surtout dans ses 10 dernières minutes, qu’il n’y a finalement pas tellement de suspens quand on dénouement de cette échange : même sans connaitre l’Histoire réelle, on n’a jamais vraiment l’impression qu’il va échouer, comme si un échec n’était finalement pas envisageable au regard du scénario, comme si une fin tragique n’était pas cinématographiquement envisageable pour Spielberg. Cela rend son film peut-être un peu lisse, peut-être un poil trop formaté. Mais dans l’ensemble, c’est un bon film, très accessible et très efficace et qui se paye le luxe de poser quelques bonnes questions d’actualité au passage, mine de rien.
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