/image%2F0902697%2F20151014%2Fob_18a052_l-homme-irrationnel.jpg)
Aller voir le dernier film de Woody Allen, pour moi, c’est un peu comme si je jouais à la roulette russe cinématographique : soit ce que vais voir va me charmer, me faire rire ou me bouleverser et je vais passer outre les petits défauts du maître (absence de rythme, dialogues bavards…) soit l’histoire va me laisser complètement indifférente et les défauts du maître vont m’exaspérer. La bande annonce de « L’Homme irrationnel » laissait présager plutôt la seconde option mais le mieux, c’est (toujours) d’aller juger sur pièce.
Abe Lucas, la quarantaine, est professeur de philo à l’université. Sur le plan affectif c’est un homme à la dérive, il est revenu de tout : l’amour, l’amitié, le sexe, la politique, la philosophie, pour lui plus rien n’a vraiment de sens, il traine sa mélancolie sur le campus. Malgré son état dépressif, limite suicidaire et sa tendance à abuser du single malt, il provoque la convoitise d’une de ses collègues professeur mais aussi d’une de ses charmantes étudiantes. Un jour où il prend avec cette dernière un café dans un « diner », ils entendent la conversation d’un groupe situé sur la banquette juste derrière eux. Cette conversation, qui ne les concerne en rien, va donner subitement à Abe le gout de revivre, car une idée complètement folle et insensée germe dans son esprit. Cette idée, qui devient un projet puis une réalité redonne complètement un sens à sa vie, mais pourrait bien causer aussi sa perte…
Au vu des 20 premières minutes de « L’homme irrationnel », franchement j’ai envisagé le pire… J’avais bien du mal à m’attacher aux états d’âme d’un Joaquin Phoenix bedonnant et enlaidit, à le voir louvoyer entre deux jolies femmes qui s’intéressaient sans que je comprenne bien ce qu’elles pouvaient lui trouver, à le regarder trainer sa dépression de cours de philo en cours de philo. Pendant ces 20 premières minutes, on ne voit pas bien où tout çà va nous mener et même si cela va nous mener au-delà du nombril d’Abe Lucas ! Et puis, grâce à la fameuse scène du diner (vous savez, ces resto typiques ou les banquettes sont dos à dos), le film devient subitement un polar, un vrai polar avec du suspens, des rebondissements, une fuite en avant inévitable, et un personnage de Abe Lucas qui n’est plus du tout pathétique. J’avoue que la bande annonce, qui ne dévoile rien de cette trame, m’a bien eu et qu’après cette première partie un peu lénifiante, le film décolle jusqu’à la scène finale, imparable, ironique et cruelle bien comme il faut. Le casting que s’offre Woody cette fois-ci est tout à fait pertinent, on retrouve la charmante Emma Stone de « Magic in the Moonlight » dans un rôle de jeune étudiante de bonne famille, fascinée par son professeur mais, contrairement à lui, plutôt saine et bien dans sa peau. Parker Posey est un peu effacée par l’interprétation solaire de la jeune femme. Joaquin Phoenix, qui n’a pas hésité à s’enlaidir pour le rôle, campe un Abe Lucas nonchalant et dépressif, qui fait peine à voir et qu’on peut légitimement trouver pathétique au début. Mais l’acteur apporte à son personnage, au fil des minutes qui passent, un souffle vénéneux : son regard change, on devine dans son attitude tout ce qui va amener au terrible final : ses doutes existentiels deviennent des certitudes malsaines, sa nonchalance se mue en une perversité sournoise, camouflée derrière des positions philosophiques dévoyées. C’est tout le cheminement psychologique de cet homme ô combien irrationnel qui est passionnante et Joaquin Phoenix n’y est pas pour rien. Le scénario, en plus de nous surprendre, est d’une intelligence redoutable car il pose des vraies bonnes questions philosophiques, comme çà, l’air de rien. Mu par ce qu’il croit être sa notion du Bien, débarrassé de ses doutes au profit de certitudes moralement plus confortables, l’innocent Abe Lucas glisse doucement mais surement vers l’autre rive, celle du Mal. Quand on arrête de douter, se soi, de ce qui est Bien ou Mal, des Autres, de l’intérêt commun, alors la porte est ouverte pour le pire. C’est de la philo que fait Woody Allen avec « L’homme irrationnel », n’en « doutons » pas ! Ironique… Bien sur, ce film là porte sa patte : rythme assez lent et linéaire, surabondance des dialogues, musique jazzy en fond, générique de débuts et de fin minimalistes. Il ne dure qu’1h35 mais honnêtement il m’a paru durer plus, ce que je ne mets pas à son crédit. C’est surement son début poussif et son rythme sans aspérité qui donne cette mauvaise impression. C’est que Woody Allen ne sait pas faire autrement, c’est un réalisateur à part dans l’univers du cinéma américain, il sort imperturbablement un voir deux films par an, il a toujours un casting haut de gamme et des scénarii originaux mais ses films ses ressemblent terriblement sur la forme. Il y a ceux qui adorent, ceux qui détestent et ceux qui, comme moi, penchent d’un côté ou de l’autre selon que le scénario les touche ou pas. A part son début un peu difficile, je regrette aussi que l’humour soit singulièrement absent de « L’homme irrationnel ». Allen met souvent dans la bouche de ses personnages des répliques savoureuses et des réflexions bien senties, on trouve souvent une ironie un peu acide dans ses dialogues et là… rien ou presque rien. Dommage, il y aurait sans doute eu matière. Mais malgré ses petits défauts, le Woody Allen 2015 est un bon cru, doté d’un casting réussi et d’un scénario subtil et bien écrit, il mérite d’être vu en salle.
http://www.allocine.fr/video/player_gen_cmedia=19553130&cfilm=228707.html