Une des femmes les plus puissantes d’Allemagne, Juliana Kant, héritière d’un d’un plus grand empire industriel de son pays, a une aventure brève et torride avec un photographe rencontré en cure thermale. Lorsque ce dernier lui réclame froidement 6 millions d’euros pour ne pas divulguer la vidéo de leurs ébats, la jeune femme outragée le fait arrêter et emprisonner. Mais ce sordide fait divers de la bonne société allemande est une bombe à fragmentation : elle va mettre au jour le passé sulfureux de la famille Kant, ses affinités avec le IIIème Reich et la présence dans la famille d’une certaine Magda Friedlander… Epouse Goebbels.
Karine Tuil propose, avec son petit roman « Six Mois, Six Jours » un récit peu évident à appréhender mais rudement instructif sur le fond. Dans sa forme, le roman est déroutant car il consiste plus ou moins en une sorte de longue interview, celle de l’homme de main de la famille Kant, aujourd’hui licencié et qui « vide son sac ». Cet homme désagréable, cassant et au caractère détestable a beaucoup à dire, le style est fait de phrases brèves, sèches et agressives, cela ne facilite pas du tout l’entrée dans le récit. Sur le fond, toute la première partie, celle de la liaison de Juliana Kant avec ce qu’on suppose être un gigolo doublé d’un escroc n’est pas follement passionnante. Ce n’est qu’arrivé au milieu du roman que tout devient plus percutant. Karine Tuil invente une fille à la véritable famille Quandt (dont elle change l’orthographe) et lui invente une tentative de chantage dans le but de raconter la véritable histoire de cette famille. J’avoue que j’ignorais tout des turpitudes nazies de cette famille d’industrielle qui passera entre les gouttes après-guerre, avec la morgue de ceux qui estiment que leur fortune les met à l’abri de tout. Dans leurs usines vont travailler et mourir des milliers de déportés et personne ne viendra jamais leur demander des comptes. Le patriarche épouse en seconde noces une jeune femme, Magda Friedlander. Et Karine Tuil décrit minutieusement, là aussi, le parcours étrange de cette femme, qui aura été adoptée enfant par un beau-père juif aimant, qui aura fréquenté adolescente le mouvement sioniste par amour et qui, par pure ambition, deviendra ensuite ce que le nazisme aura produit de plus fanatique. Elle reniera son beau-père, supprimera son nom de famille, ne lèvera pas le petit doigt pour empêcher sa déportation et sa mort. Épouse en secondes noces de Joseph Goebbels, elle sera presque plus fanatisée que lui, jusqu’au-boutiste au point d’assassiner ses six enfants dans le bunker avant son suicide. Je connaissais la fin de Magda Goebbels, mais j’ignorais son passé surprenant. « Six Mois, Six Jours » m‘aura appris pas mal de chose au final, comme quoi même quand on croit connaître un sujet, on peut en apprendre encore et encore… C’est dommage que le roman ne devienne passionnant que dans sa seconde moitié et que le style « oral » soit si déroutant. Je ne regrette quand même pas d’avoir pris le temps de lire cette « fiction » qui n’en n’est pas réellement une, et je reconnais le mérite de Karine Tuil. Elle a choisit d’aborder « de biais », par la fiction, une réalité historique bien vilaine et mal connue.