Hervé Snout, jeune quinquagénaire marié et père de deux adolescents de 14 ans, directeur de l’abattoir qui alimente en viande toute la région, Hervé Snout disparait purement et simplement de la surface de la Terre, le 16 avril 2024. Il a quitté son domicile à vélo comme tous les matins, et personne n’a rien retrouvé, ni le vélo ni le bonhomme. Snout n’est pas un homme facile, mari indifférent, père autoritaire et vieux jeu, il était également très dur en affaire et avec ses employés. Aussi, même si elle inquiète son épouse Odile, personne ne s’émeut plus que de raison de la disparition de Snout. Et pourtant, on ne disparait pas comme ça, il a bien du lui arriver quelque chose ? Oui, il lui est arrivé « quelque chose ».
J’avais remarqué le travail d’Olivier Bordaçarre avec son étonnant « Appartement 816 » et je réitère à l’occasion de son roman le plus récent tout le bien que je pense de cet auteur. Il nous raconte, de façon chronologiquement très éclatée, la disparition totale d’un homme dans histoire, un homme peu sympatrique, un homme que finalement peu de gens regrettent. Sa femme Odile pour commencer, elle est inquiète bien-sur, mais leur mariage est déjà plus ou moins mort. Elle a un amant, elle est encore très belle et pourrait aisément trouver le bonheur avec un autre homme. Sa fille Tara (14 ans) méprise son père au point de se revendiquer végétarienne (le pire affront pour Snout), entre eux la rupture semble déjà consommée. Son fils Eddy (14 ans aussi) lui ressemble beaucoup (viandard, macho, un peu trop porté sur le rapport de force) mais il est aussi nombriliste que l’est son père. Du coup, ça le contrarie que son père ne reviennent pas à la maison mais ça ne l’empêche pas de continuer sa petite vie d’adolescent en crise. La police croit que Snout s’est fait la malle et rechigne à aller plus loin. Dans l’abattoir, on travaille même mieux, plus sereinement sans le patron. Après cette première partie, on revient en arrière et on découvre les rasions de la disparition. On la sentait venir, on sentait ce que ça allait être, et quand ça arrive, le moins qu’on puisse dire est qu’on n’est pas déçu ! On comprend alors le pourquoi de la couverture originale du livre. Le roman, intelligemment construit, est une peinture crue de la petite bourgeoisie de province ou se mêlent la routine, les rapports sociaux compliqués (on peut même parler de lutte des classes), les relations hommes-femmes déconstruits, des relations générationnelles faites d’incompréhension. Snout se voyait comme le roi du monde, la vie ne lui avait pas fait de cadeau et il avait réussi : bonne situation, jolie épouse, deux enfants et la belle maison cossue. Il était « arrivé » et pourtant, le Monde l’a expulsé comme un corps étranger. Ce roman, c’est le roman cynisme : le Monde, le Destin (appellerons comme on veut) considère qu’il sera meilleur sans Hervé Snout, alors tout se met en place pour que sa disparition soit totale et définitive, et qu’elle se termine par le pire de tout : l’indifférence. Il y a pas mal de passages peu ragoutant dans « La Disparition d’Hervé Snout », notamment tous les passages dans l’abattoir. Bordaçarre décrit sans états d’âme la mise à mort des animaux, il l’écrit comme Snout la regarde, sans sensibilité aucune, c’est (volontairement) pénible à lire. Et puis, dans la dernière partie (la cinquième) certains passages peuvent légitimement choquer ou soulever le cœur. Mais ils peuvent aussi faire sourire avec cruauté, cela dépend des sensibilités. C’est un roman noir, très noir et très cru, qui n’hésite pas à flirter avec les limites (et même à les franchir) ; à réserver à un lectorat averti : âmes sensibles s’abstenir.