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Un point c'est (pas) tout

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Blog sur tout ce qui rend la vie plus chouette...


Le coin des livres : Les Bienveillantes

Publié par Christelle Point sur 10 Juin 2022, 15:36pm

Il travaille aujourd’hui en France, dans une fabrique de dentelle. Il est marié, père de deux enfants et mène une vie discrète et tranquille. Le nom sous lequel tout le monde le connaît aujourd’hui en France n’est pas le sien. Il est né Maximilien Aue, alsacien tendance allemand, et pendant la guerre il a servi dans la SS. Il va tout raconter, du début de l’Opération Barbarossa au Berlin en ruine, toute une Guerre au service du Reich dans la SS sur le front de l’Est et il va le faire sans pudeur, sans périphrases et surtout sans remords. Car c’est un fait, Maximilien Aue ne regrette rien, rien du tout…

Ouf ! C’est le premier mot qui me vient une fois les presque 1400 pages de l’édition de poche terminées… J’en suis venue à bout, et rarement une lecture aura été aussi éprouvante. Sur la forme pour commencer, « Les Bienveillantes » se découpe en 7 parties de longueur (et d’intérêt) très inégales qui portent toutes le titre d’une danse. La première chose, c’est que l’auteur n’explique rien des termes allemands qu’il utilise, des grades, des évènements, des notions idéologiques, des lieux visités. C’est assez logique puisqu’il s’agit des mémoires d’un SS pour qui ces notions sont toutes évidentes. Quand on n’est pas germanophone, où que l’on a encore des lacunes en histoire de l’Allemagne nazie, on est tenté d’aller voir en post face les explications de l’éditeur. Je l’ai fait au début puis j’ai vite arrêté et pris la décision de me laisser porter par le récit, en faisant un peu fi de toutes ces subtilités. Il y en a trop, cela aurait haché une lecture déjà sacrément difficile. Voulant embrasser dans un seul roman une multitude de thèmes, d’intrigues et de notions abstraites, le récit part dans tous les sens et se disperse à plusieurs reprises dans des longueurs à la limite du supportable. Le long passage dans le Caucase et ses nombreuses pages sur la linguistique des peuples juifs caucasiens était déjà une petite purge en soit, mais le chapitre intitulé « Air », mélange de scatologie et délires masturbatoires, est interminable et, disons-le, ignoble ! Littell choisit de présenter son personnage au cœur d’une sorte de tragédie grecque, l’émaillant parfois de passage à la limite du grotesque (les deux policiers qui le poursuivent dans les endroits les plus improbables). Aue est un SS érudit mais sans états d’âme, perpétuellement préoccupé par des questionnements philosophiques, pour ne pas dire métaphysiques, homosexuel mal refoulé, il a entretenu avec sa sœur jumelle des relations incestueuses, il hait sa mère et idéalisé un père absent : un SS d’un genre qui ne devait pas être la norme ! Sur le fond, nous suivons Aue en Ukraine (où il officie pendant la Shoah par balles, ce chapitre est insoutenable), dans le Caucase puis dans l’enfer de Stalingrad. Ensuite le voilà en convalescence avant de trouver des responsabilités auprès du commandement nazi qui lui confie des inspections dans les camps de la mort, avant que l’avancée des russes ne le rattrape. Tout au long de ce récit, il aura participé activement (et de toutes les manières possibles) au projet nazi d’extermination des juifs, en essayant de rationner l’irrationnel, de justifier l’injustifiable, de condamner les plus extrémistes pour s’auto-absoudre de tout sentiment de culpabilité. Rassurez-vous, à aucun moment il ne sera vaguement sympathique, a aucun moment le lecteur en aura quelque chose à faire qu’il survive ou pas. C’est un bourreau, il peut en préambule chercher les explications tordues qu’il veut pour se justifier, c’est un bourreau et pas grand-chose d’autre. Enfin si, en plus d’être un nazi, c’est un mauvais fils, un mauvais frère, un mauvais ami, un assassin au premier degré au cynisme assumé. « Les Bienveillantes », c’est l’autobiographie d’un homme qui s’imagine complexe mais qui n’est en réalité qu’un psychopathe bien dans l’air de son temps. Il reste que le livre est une mine d’or pour l’amateur d’histoire, où j’ai appris des tas de choses que j’ignorais encore sur la guerre et l’Allemagne nazie. Le roman démontre avec une clarté aveuglante comment le nazisme a planifié la Solution Finale d’une façon industrielle, bureaucratique, presque capitaliste : en diluant les responsabilités individuelles, en fractionnant le travail, en s’appuyant sur la lâcheté et faiblesse du genre humain, elle a façonné avec « bonne conscience » la plus grande entreprise de mort de l’Histoire du monde Moderne. Au final, le roman de Jonathan Littell coche toutes les cases : Il est à la fois passionnant et insupportable à lire, parfois grotesque, souvent insoutenable, il laisse le lecteur assommé et soulagé d’en avoir terminé avec Maximilien Aue, un sale type qui n’avait pas conscience de n’être rien d’autre qu’un sale type.

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