Marlo est mariée à Drew, qu’elle aime, elle a un travail qui leur permet de vivre convenablement et elle a deux enfants assez jeunes, dont un petit garçon visiblement différent (on va dire autiste pour faire court même si le terme n’est jamais utilisé) et elle est enceinte d’un troisième enfant, qui n’était clairement pas prévu. Déjà épuisée par les deux grands, Marlo va devoir accueillir Mia, ce nouveau-né, et c’est la goutte d’eau d’un vase déjà plein à ras bord. Inquiet pour elle, son frère lui offre une « nounou de nuit » pour l’aider. Réticente au début, elle se laisse tenter et tombe sur Tully, une jeune femme dynamique, efficace disponible et qui, en plus de lui permettre de dormir, lui fait un bien fou avec son optimisme et son bon sens. Marlo remonte la pente, mais Tully n’est qu’une solution temporaire à un problème qui ne va pas se régler en quelques semaines.
Au vu du résumé, on se demande s’il y a matière à faire un film de plus d’1h30 sur une maman débordée et sa nounou de nuit (je ne sais pas si ça existe dans la réalité mais si ce n’est pas le cas, c’est peut-être une idée à creuser !) mais c’est mal connaitre Jason Reitman qui, avec « Juno » ou « Yong Adult », avait déjà prouvé qu’il n’est nul besoin d’aller chercher des histoires compliquées ou improbables pur faire des bons films. Il nous offre avec « Tully » un film bien réalisé, bien scénarisé et qui n’a pas besoin de plus d’une minute pour nous faire entrer de plein pied dans le sujet. Après un générique plein de tendresse, on entre au cœur d’une famille très classique, avec juste un enfant un peu différent, un peu « particulier » comme le disent pudiquement tous ceux qui l’entourent. Montage dynamique, bonne utilisation des sons (les cris de bébés deviennent une agression dés qu’on les pousse un petit peu en volume !), bande originale discrète (à part un best of ultra rapide et saccadé de Cindy Lauper, très réussi). Par la répétition infinie des gestes quotidiens, filmés et montés de façon rapide, le ton est donné et l’épuisement de Marlo devient très vite très concret aux yeux (et aux oreilles) des spectateurs. Rien à redire, dans le genre sobre et efficace, Reitman fait le job. Les seconds rôles sont très bien tenus et très crédibles, notamment Ron Livingston parfait en père lui aussi épuisé, mais qui a trouvé comme échappatoire la boulot et les jeux vidéos. Il campe un mari aimant, visiblement soucieux de bien faire mais qui, en quelques phrases, dit tout du décalage qui est le sien vis-à-vis du burn-out qui guette son épouse. Dés qu’il rentre du travail, devant une maman épuisée il remarque que les enfants ont leur portable à table, comme un tout petit reproche de rien du tout. Ou, s’il reste seul avec ses enfants, il déclare que sa femme les avait laissés « sans surveillance » avant de se reprendre. Il y a quelque chose de touchant dans cette maladresse masculine et qui sonne juste. Mackenzie Davis est une nounou de 26 ans qui représente tout ce que Marlo voudrait être, ou redevenir : mince, optimisme, un peu délurée, efficace, jamais fatiguée, adorable avec le bébé. Ce personnage intrigue, on ne sait rien d’elle, elle semble presque trop belle pour être vraie et c’est en partie ce qui me mettait un peu mal à l’aise pendant le film, mais avec le recul, je comprend mieux ce parti-pris et Mackenzie Davis est très juste, très bien. Mais honnêtement, c’est surtout Charlize Theron qui m’a impressionné, et bouleversé aussi. La mine défaite, avec 10kg en plus (par rapport à la pub Dior, j’entends !), épuisée et au bout du rouleau, elle m’a serré le cœur à plusieurs reprise tant sa détresse à l’écran était palpable. Sa fatigue, ses nerfs en pelote, on pourrait presque les toucher du doigt en tendant la main vers l’écran ! Une vraie performance que d’incarner une femme si ordinaire, pétrie de sentiments si ordinaires, et d’en faire un rôle presque extraordinaire ! Le scénario de « Tully » est bien plus lourd de sens que ce qu’on imagine au départ. Au vu du résumé on se dit que c’est une sorte de « Mary Poppins » post moderne (les chansons en moins !) mais on se trompe lourdement. La dépression post-partum (sujet de moins en moins tabou, fort heureusement), le burn-out maternel et ce qu’on appelle « la charge mentale », c’est ça le cœur de « Tully ». Cette nounou qui débarque et tente de soulager une mère qui n’en peux plus, c’est un trompe l’œil, une solution temporaire, un sparadrap sur un membre gangréné, ça ne règle rien du tout, ça soulage juste un peu, juste quelques temps mais le problème est toujours là et finit par rattraper Marlo, de façon terriblement douloureuse. Le rebondissement final, que j’avoue n’avoir deviné que très tard, nous force à relire le film à postériori et à y trouver après coup tout le sens que Jason Reitman à voulu y mettre. Ce film n’est pas ce qu’il parait être, c’est une sorte de bombe à retardement et c’est une fois la séance finie qu’il prend tout son sens et suscite la réflexion. Et c’est une réflexion essentielle que « Tully » suscite, elle nous interroge sur nous, que nous soyons des femmes ou non, que nous soyons des mères ou non. Là où le scénario apparait un petit peu excessif, c’est qu’il a cru bon d’ajouter à la fratrie un petit garçon difficile, différent, qui a du mal à s’adapter à la vie en société, qui pique des crises et cela ajoute à l’épuisement maternel. On pourrait penser que c’est l’élément déclencheur du burn-out, et que peut-être, avec un enfant moins difficile les choses auraient pu mieux tourner. Le message de Reitman aurait été tout aussi fort et crédible avec une famille sans cette particularité, qui n’était pas nécessaire et qui peut brouiller un peu son message. Mais c’est à peu près le seul bémol que je mets à « Tully », un film très réussi sur un sujet aussi banal qu’essentiel.